CINÉMATHÈQUE JACQUOT NICE - Ce mois de novembre, la cinémathèque de Nice consacre une rétrospective sur le réalisateur français, Benoît Jacquot, qui se mêle à un retour sur les 50 ans de la Semaine de la Critique, un raccourci normal pour un metteur en scène découvert à la…Semaine de la Critique…
Ce « voyageur de l’intime » comme l’a qualifié la cinémathèque de Nice pour cette Leçon, a parlé de son art, une chose à la fois naturelle et nécessairement impudique…
L’enfant chéri de François Truffaut
En présence de Raoul Mille, adjoint délégué au cinéma, le journaliste, Jean-Jacques Bernard a cuisiné Benoît Jacquot sur son art, sa vie, ses émois… Son amour pour le cinéma l’a pris à 12-13 ans quand la Nouvelle Vague s’est imposée dans le paysage cinématographique français. « Leur façon de rentrer dans le monde m’a interpellée » assure-t-il. Et voilà le petit Benoît qui sait qu’il fera dans la vie, cinéaste. « Je n’allais guère à l’école mais je fréquentais assidûment les salles de cinéma… Mes parents étaient très inquiets mais mon père me préférait à la cinémathèque que dans la rue ». De la bande du drugstore, « des minets un peu violents qui aimaient les livres et le cinéma », à Marguerite Duras en passant par André Breton, Benoît Jacquot a eu tous les culots. C’est comme ça qu’il apostrophe André Breton dans la rue, ou qu’il fait croire à son père que François Truffaut veut qu’il devienne (à 15 ans), son assistant… Son père écrit à Truffaut qui lui ressortira la lettre des années après, quand le petit Jacquot sera devenu l’un des cinéastes préférés de la Nouvelle Vague. Avec « L’assassin musicien », présenté à la Semaine Internationale de la Critique à Cannes en 1974, il fait la tournée des festivals européens et part à New-York, recommandé par… François Truffaut… Avant d’en arriver là, Benoît Jacquot a beaucoup œuvré comme assistant auprès de Bernard Borderie pour sa série des « Angélique » mais aussi chez Marcel Carné, Roger Vadim, et Marguerite Duras pour laquelle il a plaçé la caméra sur « India Song ». « Ca ne l’intéressait pas du tout la mise en scène, je parlais aux acteurs de sa part… Quand elle tournait, elle était habitée… ». Il fera même l’acteur pour elle dans « Le Navire Night », un film-dialogue avec elle. « Je fais le metteur en scène pour ne pas être acteur. C’est pourtant tentant car c’est ce que j’admire le plus au monde ». Il refera l’acteur, prochainement, pour son pote, Pascal Bonitzer, aux côtés de Jean-Pierre Bacri et de Kristin Scott-Thomas.
Dominique Sanda, Judith Godrèche, Virginie Ledoyen…
Vous l’aurez compris, Benoît Jacquot doit tout aux Cahiers du Cinéma... et à Duras qui lui fera rencontrer la première femme de sa vie, l’actrice, Dominique Sanda. « J’ai passé 8 ans avec elle, elle était si belle, si lumineuse… Pourtant, la première fois qu’elle m’a vu avec Duras, elle a pris peur… ». Pour lui, Dominique Sanda était « une actrice très insuffisante, j’ai jamais réussi à la faire jouer comme je voulais… mais j’étais très amoureux ». L’amour rend-t-il aveugle ? Possible… mais elle était une star, labellisé Robert Bresson... Longtemps, on a comparé son cinéma avec celui de cette légende. Pourtant, il avoue, « Mes premiers films, j’ai mis longtemps avant de les revoir ». Mais c’est avec « La Désenchantée » (1990) que Benoît Jacquot accède au grand public. Il le doit à une jeune actrice de 17 ans, Judith Godrèche qui deviendra sa compagne. « Je lui avais fait faire des essais pour « Les Mendiants » où elle avait tenu le rôle de Catherine, elle m’a kidnappé. « La Désenchantée » a été comme un second premier film pour moi ». Une nouvelle naissance au cinéma ? « Le cinéma est directement lié au désir, c’est ma loi, toute ma vie s’ordonne en fonction de mon désir de cinéaste ». Pourtant, il se refuse aux castings, « c’est des marchés aux bestiaux ». Lui, préfère les planches. « Je vais voir les comédiens au théâtre ». Il mettra 4 ans pour revenir au cinéma avec « La fille seule » (1994) où il fait tourner une autre jeunette du cinéma devenue grande, Virginie Ledoyen. « Pendant 4 ans, j’ai tourné beaucoup pour la TV dont « La vie de Marianne » d’après Marivaux. J’avais fait faire un essai à Virginie (Ledoyen), j’étais fou d’elle ». Il fonctionne ainsi, Benoît Jacquot, à l’envi(e) qui avoue que « le geste de filmer a quelque chose à voir avec l’acte érotique. Vivre avec la personne que l’on filme, c’est extraordinaire ». Et les extraits de film défilent au gré de sa filmographie. Pour « Le septième ciel », il voulait un vrai couple d’acteurs comme Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon. « Je préfère travailler avec des acteurs qui essaient de trouver avant de chercher ». C’est cela aussi qui l’a poussé dans les bras d’Isabelle Huppert qu’il considère comme une sœur. Dans « L’école de la chair », elle joue une femme accroc à un homme plus jeune, un gigolo campé par Vincent Martinez. Quand Jean-Jacques Bernard lui fait remarquer qu’il est un réalisateur de gros plans, Benoît Jacquot lui rétorque : « C’est que ma vue baisse ».
D’Isabelle Huppert à Isild Le Besco
L’homme sait que le secret de la réussite, c’est de savoir se moquer de soi-même. Il prend à son compte la maxime de Paul Valery, « Oter cette chose que j’y vois » qu’il a transformé via Philippe Carcassonne, son producteur, « Pas assez, c’est encore trop pour moi ». Isabelle Huppert devient son égérie puisqu’elle fera deux autres films avec lui, « Pas de scandale » aux côtés de Fabrice Luchini, et « La fausse suivante » avec Sandrine Kiberlain. Puis, une autre nature croise le regard du réalisateur. Isild Le Besco s’impose à lui. « Elle est très particulière, elle possède une singularité qui m’intéresse ». Là encore, il lui sera fidèle durant 5 films dont « Sade » où Daniel Auteuil avait trop peur de ce rôle, ou encore « Au fond des bois » qu’il considère comme son film le plus abouti. Pour lui, le moment essentiel d’un film, « c’est quand le comédien rencontre la place de la caméra ». Alors caméra-stylo ? « La place de la caméra détermine l’écriture du film ». Astruc rencontre Jacquot… Il aime les acteurs, il est tout le temps avec eux, proche d’eux. Il leur explique le plan, « ça s’appelle la mise en scène ». Cela commence à se savoir et Isabelle Adjani le réclame pour tourner « Adolphe » avec Stanislas Merhar. « Cela s’est décidé en une heure dans un hall d’hôtel, elle m’avait demandé de venir et on a commencé le tournage le lendemain ». Le tournage a été une aventure. « Isabelle Adjani était très amoureuse de Stanislas Merhar qui l’avait repoussée et elle voulait le reconquérir par le biais du tournage, le film du film, c’était génial comme tourner un documentaire sur leur histoire ». Sa rencontre avec Catherine Deneuve l’a aussi marquée et là encore, c’est elle qui l’a voulu. « Elle savait que j’étais proche de Lacan et que je détestais son personnage de Marie Bonaparte qui l’a viré de la société française de psychanalyse. Elle m’a dit qu’elle allait faire quelque chose qui me plairait, une expérience formidable à vivre, elle jouait pour moi, pour que j’aime ça ». Elle fait partie de sa trilogie des « muséales » avec Jeanne Moreau et Isabelle Huppert qu’il a retrouvée pour « Villa Amalia ». Alors Huppert = Jacquot. « Je suis dans tous mes personnages féminins tout comme Auteuil dans Sade est moi, on ne sait plus où se fourrer »… Benoît Jacquot continue à faire du cinéma comme un conte de fées, comme il jouerait de la musique qu’il a expérimenté avec « Tosca », un succès. Il fera « La Traviata » prochainement et vient de terminer « Les adieux de la Reine » qui devrait sortir fin mars, début avril 2012. « Xavier Beauvois sera Louis XVI », encore une rencontre improbable dans un avion… Cet homme-là est béni des dieux, du cinéma, bien sûr !
Pascal Gaymard
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