Une future zone franche de 100 hectares, un méga-centre commercial avec IKEA comme locomotive : les projets transalpins bousculent le fragile équilibre économique des Alpes-Maritimes.
En décembre, une délégation italienne devait vanter auprès des industriels monégasques les atouts de la future zone franche de Vintimille : visite reportée, car le dossier fait toujours l'objet d'âpres discussions entre Rome et Bruxelles. La cité frontalière pourrait présenter dans quelques semaines les conditions fiscales avantageuses pour les PME de moins de 50 salariés qui souhaiteraient s'y installer, sur un site qui englobe une centaine d'hectares, de la basse vallée de la Roya à une partie de la cité historique. En janvier, IKEA Italie adressait un courrier aux autorités, par lequel il confirmait sa volonté d'acquérir le terrain de l'ancienne zone de dédouanement (30 hectares) pour y édifier l'un de ses plus grands magasins d'Europe dans un centre commercial de 200.000 m2. Soit 6 fois la surface de Cap 3000 !
Autant d'annonces qui perturbent nos élus, qui semblaient ignorer jusqu'à peu ce qui se tramait outre-Roya. En première ligne, Jean-Claude Guibal, député-maire de Menton, qui depuis des décennies tente, en vain, d'engager un dialogue transfrontalier : il admet aujourd'hui son découragement. "Nos voisins transalpins décident sans nous consulter. C'est regrettable." Il avoue même être un peu en froid avec son collègue de Vintimille, pour une affaire "clochemerlesque" d'eaux usées et d'école française... La zone franche pourrait bien mettre le feu aux poudres.
La création de 22 zones franches en Italie fait actuellement l'objet d'âpres débats avec l'Union Européenne. L'Etat italien donnerait son accord à Vintimille en contrepartie de la suppression du bonus fiscal (8.000€) dont bénéficient les Ventimigliesi travaillant à Monaco ou dans les Alpes-Maritimes pour dédommagement des frais de transport. En supprimant cet abattement, l'Etat veut inciter les transfrontaliers à travailler dans les PME qui s'installeront dans ladite zone franche. Une sorte de priorité aux nationaux qui ne veut pas dire son nom... Et qui ferme la porte aux Mentonnais qui s'imaginaient nombreux trouver un emploi de l'autre coté de la Roya.
Le projet le plus inquiétant reste celui d'IKEA : l'enseigne suédoise, échaudée par deux fois dans les Alpes-Maritimes, semble ici accueillie à bras ouverts par la région d'Imperia. Il lui reste à conclure l'achat du site, propriété de Ferrovie dello Stato (réseau ferré italien) et d'un privé. Le géant du meuble annonce la création d'un magasin de 75.000 m2 au sein d'un centre commercial de 200.000 m2. Mais un doute subsiste, car la surface apparaît disproportionnée si l'on sait que le plus grand magasin de l'enseigne, à Stockholm, toise 55.000 m2. Même si la surface de vente est réduite de moitié, pour tenir compte des réserves, il reste 33.000 m2 d'exposition, ce qui en ferait l'un des plus grands en Europe, à l'égal de Berlin. Pour certains, l'annonce serait en fait une partie de poker menteur destinée à faire pression sur les projets en panne à Nice et à Mougins (deux surfaces de moins de 15.000 m2). Si le projet se réalise, les autres commerces occupant les 125.000 m2 disponibles bénéficieront des avantages fiscaux de la zone franche s'ils emploient moins de 50 salariés. Une concurrence redoutable pour le tissu commercial entre Menton et Nice, voire bien au delà. Éric Ciotti, président du Conseil général des Alpes maritimes, se rassure : "IKEA m'a promis n'avoir aucun projet sur Vintimille". Quant à Christian Estrosi, il croit dur comme bois en IKEA à Saint-Isidore, et affirme se battre au niveau européen pour éviter toute concurrence déloyale entre France libre et Italie "franche". Le siège du groupe suédois tranchera. Mais Vintimille tient la corde, idéalement située entre Côte d'Azur, Ligurie et Piémont. Même les Niçois n'y seraient pas hostiles, comptant sur des prix plus bas hors de nos frontières.
Face à cette offensive économique, Jean-Claude Guibal se déclare impuissant : "Si tout ce qui est annoncé se réalise, Menton sera coincée entre Vintimille et Monaco, deux zones à faible fiscalité et à fort dynamisme économique. Nous risquons d'être réduits à un rôle résidentiel. La pression immobilière pourrait s'accroître, pénalisant lourdement les actifs locaux." Il souhaite que la CARF intègre au plus vite la Communauté urbaine niçoise : "En s'adossant à une future métropole, nous serons mieux entendus par Monaco et par nos voisins italiens. C'est aussi le moment de créer un groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) associant Vintimille -Impéria, Monaco et Nice Cote d'Azur, afin d'harmoniser nos politiques d'aménagement. L'Europe permet de créer un statut fiscal particulier pour ce type d'initiatives. Il pourrait faire avancer nos projets économiques sur les 3 hectares de la BA 943 à Roquebrune ou les 300 à 500.000 m2 constructibles sur la carrière de la Cruella à La Turbie. Le temps presse, nos voisins risquent de rafler la mise."
Mais l'appel de Jean-Claude Guibal sera-t-il entendu ?
Michel Bovas
La Tribune
L'histoire d'eau qui allume la mèche
Ce n'est plus l'entente cordiale entre les deux communes frontalières : Gaetano Scullino, maire de Vintimille, clame dans la presse italienne sa colère contre Menton. A l'origine de ce coup de sang, une histoire pas très claire d'eaux usées... Depuis longtemps, une partie des eaux usées de Vintimille se déverse, en cas de fortes précipitations, vers la station d'épuration de Menton. En 2009, Vintimille a reçu une aide financière de la région d'Impéria pour édifier un émissaire en mer, à la hauteur de la frontière, qui lui permettrait de rejeter au large son surplus d'eaux usées. Un aménagement qui fait d'ailleurs peser une menace sur le futur hôtel-centre de thalassothérapie que Menton projette sur le site de Garavan. Avec à la clef une pollution maritime propre à contrarier le bon fonctionnement du complexe touristique. Menton a fini par envoyer à Vintimille sa facture du traitement des eaux usées, comme elle le fait avec les autres communes françaises : la demande a entraîné une vive réaction du bouillant Gaetano Scullino, qui pour le coup a décidé de faire payer, revanchard, un loyer à l'école française installée sur sa commune. Une école primaire qui dépend de Menton, et dont le personnel est payé par l'Education nationale, avec pour vocation d'accueillir les enfants des transfrontaliers. Elle bénéficiait en tant que telle de la gratuité des locaux affectés par Vintimille...