NICE JAZZ KEZIAH JONES - Dimanche au
Nice Jazz Festival, c’était soirée
Blufunk. Le programme annonçait
Nneka, Aldo Romano, Lucky Peterson, Yodelice, Keziah Jones. Le temps de traverser Nice et ses embouteillages vespéraux et réparer une fuite d’eau sur l’avenue de la Californie, je suis arrivée pour entendre les dernières mesures d’
Aldo Romano. Je râle, ça commence mal. Je pars donc au jardin voir et écouter
Lucky Peterson.
C’est l’heure de la gamelle, des queues se sont formées devant les stands de bouffe qu’il faut fendre pour arriver vers la scène. Et les ennuis continuent car à
Cimiez, on ne peut pas dire que la production bichonne les journalistes accrédités. Traités au pain sec et à l’eau, ils bénéficient des mêmes conditions que le public pour voir les artistes, c’est à dire «
Démerdez-vous ! ».
Difficile d’apprécier un concert, coincé dans la foule derrière un énergumène d’un mètre quatre vingt qui, de plus, a eu la bonne idée d’y ajouter un chapeau. Vous n’apercevez au mieux que les lumières des portiques de la scène, alors vous changez de place, dérangeant une foule d’anonymes qui râlent, ne comprenant pas que vous avez un papier à livrer, vous. Et si par chance, vous trouvez un endroit avec vue, voilà qu’à côté de vous, deux amies, qui se reconnaissent dans la foule, se racontent leurs dix dernières années passées sans se voir et quand, timidement, vous leur demandez de la mettre en veilleuse ou d’aller discuter un peu plus loin, elle vous vouent aux gémonies en des termes peu amènes. Alors vous renoncez à voir et vous vous asseyez dans un coin pour écouter, vous demandant pourquoi vous êtes là et ce que vous allez bien pouvoir dire de ce que vous avez si mal vu car parler d’un concert de musique sans entrer dans la technique, c’est décrire des sensations et des émotions que l’on a ressenties et que l’on note sur le vif car elles sont fugaces, se dissipant comme ces fumerolles projetées sur la scène. Prendre des notes, la nuit, coincée dans la foule qui vous regarde bizarrement, se demandant pourquoi vous ne restez pas chez vous pour écrire votre courrier, prend des airs d’étrangeté, sans compter que le lendemain, la relecture n’est pas garantie. Et bien pour tout dire la vie de chroniqueuse n’est pas de tout repos dans les jardins de
Cimiez.
Donc dimanche, j’ai commencé ma soirée avec
Lucky Peterson, une sorte d’ogre débonnaire à l’énergie débordante vêtu de blanc. Orgue Hammond et guitares hurlant les décibels, le groupe attaque. « Hello-o Nice », la foule est tétanisée par la puissance sonore et la vitalité. Et quand il passe au blues, il enveloppe le jardin de sa voix ample. L’ogre à l'orgue joue sans cesse avec le public, l’exhorte à taper dans les mains mais ça ne lui suffit pas, il veut le contact, plus près, encore plus près; il quitte la scène et tel Jésus descend vers ceux qui sont venus le voir et l'adorer.
Avant la migration générale, je m’échappe vers Matisse, m’assieds pour prendre quelques notes en attendant Yodelice. « Tiens, me dis-je in petto, me voilà assise au troisième rang, je vais enfin pouvoir goûter pleinement le concert dans des conditions décentes. » Mais c’était mal connaître le public qui envahit Matisse tel une nuée de sauterelles biblique. Sans aucun respect pour ceux qui sont assis, ils se plantent devant la scène, refusent de s’asseoir par terre.
Yodelice entre en scène, c’est le délire. Les assis du premier rang se mettent debout sur les chaises, on manque d’en venir aux mains. J’aperçois un chapeau avec une plume, une sorte de medecine man. Yodelice, jamais entendu parler. Maxim Nucci, non plus. Désolée, je ne lis pas la presse people. « Rédemption, volte-face ou révolution » dit le communiqué, citant pêle-mêle Tom Waits, Dylan, Cat Stevens et David Crosby, parlant de sa guitare tête de mort faite par le luthier de Keith Richards et George Harrison. Je demande à voir... et à entendre. Hum... Hum... ça se laisse écouter mais on sent qu’il a beaucoup regardé et écouté les valeurs sûres de la folk des grandes années. Les soixante-huitards, eux qui ont connu bien mieux, quittent Matisse pour aller ressortir quelques vieux vinyles enfouis dans une cave mais les trentenaires manifestent à grand bruit leur enthousiasme. Attention Yodelice, sous ton arbre de vie, l’habit ne fait pas le moine et la guitare, fût-elle tête de mort, le folk singer. Un conseil, si tu es encore à Nice mercredi, vas écouter James Taylor !
Retour au jardin pour voir l’élégant Keziah Jones entrer en scène. La grâce blufunk se meut en légèreté sur la scène comme en apesanteur. C’est simple, évident, authentique. Le dandy nigérian imprime « ses » cultures africaine et occidentale de sa voix pleine d’émotion. Deuxième morceau, il tombe la veste, la température monte sous les oliviers, les gazelles n’ont d’yeux que pour lui, le dieu de l’Afrique de l’ouest. La soirée Blufunk s’écrit en lettres d’or sur fond de nuit étoilée.
À Cimiez, la magie est toujours au détour d'un olivier.