JOURNALISME - Journaliste en France : un métier, parfois à haut risques....judiciaires.
Troublante coïncidence. Au moment même où à Nice des journalistes russes, venus assister au festival de Théâtre de leur pays, vantaient la « liberté d’expression » de leurs confrères français, un journaliste de Libération était interpellé, menotté, acheminé au dépôt, contraint par deux fois de se dévêtir pour subir une fouille intégrale, privé de l’assistance de ses avocats. Vittorio de Filippis ex –directeur de la publication a été « libéré » cinq heures plus tard, après avoir été mis en examen.
Tout cela pour « un procès en diffamation dans lequel Libération a déjà obtenu gain de cause à deux reprises », écrit Laurent Joffrin, PDG du journal. Cette nouvelle dérive judiciaire à l’encontre d’un journaliste ne fait pas honneur à certains magistrats du pays des « droits de l’homme et du citoyen ». Et n’imaginez surtout pas que la presse dans son ensemble condamne par réflexe corporatiste cette interpellation « disproportionnée » – c’est le mot de Frédéric Lefèvre porte-parole de l’UMP qui réclame une enquête - par rapport aux faits reprochés à ce journaliste. Un délit qui n’est pas passible de prison. Notre profession n’est certes pas au dessus des lois. Pour autant elle n’a pas à subir, au même titre que n’importe quel citoyen, un traitement judiciaire, « d’exception » qui rappelle les sombres lois du même nom.
Ce journaliste de Libération a été interpellé sur réquisition de la juge d'instruction Muriel Josié, vice-présidente du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, saisie d'une plainte en diffamation de Xavier Niel, fondateur du fournisseur d'accès Internet Free. Ce n'est pas la première fois que ce dernier porte plainte contre Libération. A chaque fois, le plaignant et ses sociétés ont été déboutés. Début 2007, M. Niel a déposé une nouvelle plainte. Elle vise le commentaire d'un internaute publié sur le site de Libération. «Je suis l'avocat de Libération depuis 1975 et c'est la première fois que je vois un directeur de publication faire l'objet d'une interpellation et d'un mandat d'amener », a constaté Me Jean-Paul Lévy. « Il suffisait d'envoyer une convocation par courrier au siège de Libération ou de nous appeler pour convenir d'un rendez-vous : cela n'a pas été fait», ajoute-t-il.
De nombreux journalistes sont susceptibles de faire l’objet de procédure pour diffamation. Cela permet de protéger les citoyens de certaines dérives médiatiques. Il arrive cependant que des juges d’instruction se laissent emporter par leur excès de zèle. Ou un respect tatillon des textes. Ainsi, dans les années 90, alors correspondant du Quotidien de Paris, je fus mis en examen de « complicité de diffamation » et le directeur de la publication Philippe Tesson de « diffamation ». Ma faute : avoir cité ce que m’avait déclaré lors d’un entretien par téléphone d’Uruguay où il s’était réfugié Jacques Médecin : « je suis victime d’un complot monté par Michel Charasse et son frère ambassadeur de France en Uruguay ».
La plainte avait été déposée par Michel Charasse, ancien ministre socialiste. Le fait de publier des propos diffamatoires d’une autre personne peut entraîner une mise en examen Le même juge de Clermont-Ferrand qui me convoqua pour me signifier ma mise en examen, délivrait, quelques mois plus tard, une ordonnance de non lieu ! Ce magistrat, courtois, m’avait convoqué sans délivrer un mandat d’amener comme ce fut le cas pour le journaliste de Libération. Quelle mouche a pu piquer la juge d’instruction ? La responsabilité du mandat d’amener incombe au magistrat instructeur, les policiers n’ont fait qu’exécuter une décision judiciaire, comme l’a souligné le ministère de l’Intérieur.
Cette affaire aura au moins le mérite d’attester que les pressions judicaires s’accentuent sur les journalistes en France. Notre pays détient depuis deux ans le record européen en nombre d’interventions policières ou judiciaires liées au secret des sources, avec cinq perquisitions, trois mises en examen et sept convocations de journalistes. C’est ce que révèle Reporters sans Frontières, qui publie chaque année un rapport sur la liberté de la presse dans le monde. La France est classée 35e dans le rapport 2008 de RSF, en recul de quatre places. Les vingt premières du classement sont occupées par des pays européens, le Canada et la Nouvelle-Zélande. La presse est plus libre en Namibie, à Chypre ou au Ghana qu'en France.
Paul Barelli
Le Petit Niçois