Nous retiendrons de ce festival moyen le retour au premier plan du cinéma italien.
Pascal Gaymard chroniqueur pour le Petit Niçois, plus ancien journal de Nice, a tenu au jour le jour, sagement ou à peu près, le feuilleton des films présentés pendant ce 61e FIF Festival International du Film de Cannes.
Dimanche 25 Mai 2008
Déjà la veille, les stands du Marché du Film avaient fermé leurs portes à…16h., laissant quelque peu désemparés les festivaliers qui souhaitaient prolonger le rêve. Tout se vide, le Festival joue sa dernière carte dans une villa des alentours où les membres du Jury présidé par Sean Penn devront décider du Palmarès de cette 61ème édition… Les journalistes ont leur favori… Le nôtre ? «L’Échange» de Clint Eastwood, sans hésitation avec des Prix d’interprétation pour Martina Gusman («Leonera») et Benicio del Toro («Che»)…voire un Prix spécial du Jury pour «Valse avec Bashir»… Espérons que le final fasse oublier les conditions atmosphériques déplorables d’un Festival qui restera, entre autres, comme le plus pluvieux de son histoire…
Samedi 24 Mai 2008
Dernier jour de compétition et dernier film français sélectionné par Thierry Frémaux en dernière minute, «Entre les murs» de Laurent Cantet. Cette réflexion sur la difficulté d’enseigner dans un collège parisien pose beaucoup de questions sur la manière de transmettre, sur l’attitude à avoir avec les enfants, sur leurs comportements en classe, sur la sanction et son application, sur l’écoute, le respect, la compréhension… Parfois à la limité de l’agacement, quelquefois émouvant mais toujours juste, le film de Laurent Cantet pourrait être classé dans la catégorie des documentaires tant le propos semble authentique. Il compte de nombreux supporters sur la Croisette et pourrait très bien faire une Palme d’Or française même si le film de Clint Eastwood, «L’Échange», apparaît comme incontournable tant il est frise la perfection. Pour autant, il ne faut pas passer sous silence le dernier Wim Wenders, «The Palermo Shooting», qui s’inscrit dans la lignée des œuvres présentées à Cannes en mélangeant les espaces temps et les réalités. D’une beauté éblouissante, son propos frise parfois l’exercice d’esthétisme pur avant une confrontation finale fascinante entre son personnage principal, le photographe incarné par Campino, et la mort campée par Dennis Hopper… Comme si une fin de Festival de Cannes était une petite mort pour tous ceux qui aiment le cinéma avec passion…et qui vivent le Festival comme une fête permanente dédiée au plus noble des Arts… Vendredi 23 Mai 2008
Décidemment, le thème de la vie réelle, de l’univers fantasmé, de l’existence rêvée…aura été la grande affaire de ce Festival de Cannes, 61ème édition. Le premier film très ambitieux de Charlie Kaufman, «Synecdoche New-York», s’inscrit dans cette tendance. Au travers du parcours chaotique d’un metteur en scène de théâtre campé par le toujours excellent Phillip Seymour Hoffman, le réalisateur mélange vie privée et préoccupations artistiques dans un maelstrom de décors et de verbiages. Parfois un peu long, souvent compliqué, le film n’aura pas convaincu le public cannois. L’italien Paolo Sorrentino avec «Il Divo», est plus accessible et retrace 30 ans de la vie politique italienne en s’attachant à la carrière d’un homme politique influent et discret, Guilio Andreotti. Pouvoir des réseaux, des clans, de la mafia aussi, l’Italie est radiographiée sur le mode du film historique qui lorgne du côté de la comédie. Le personnage hiératique de l’homme politique peut prêter à rire surtout au vu d’une bande son qui accompagnera le spectateur bien après la séance. Pourtant, le sujet reste sombre entre pots-de-vin, suicides en chaîne, rencontres improbables, lobbying tenace… Avec le film du metteur en scène singapourien, Eric Khoo, «My Magic», on reste dans une problématique violente. Les personnages sont plus intimistes mais tout aussi enfermés dans une logique qui exclut un retour en arrière… Néanmoins, la rédemption, même si elle à un prix, reste possible. Humble, austère, émouvant, Eric Khoo en 1h15 livre une belle leçon d’humanité sur la survie et la transmission… et les discussions sont allées bon train sur la place du Suquet où le Député-Maire de Cannes, Bernard Brochand, avait convié les membres du Jury et les journalistes pour un désormais traditionnel aïoli marquant l’approche de la fin du Festival. Les sélections parallèles font leurs fêtes de clôture, certains stands commencent à ranger leurs affiches, l’atmosphère humide de Cannes se refroidit et les passions retombent…en attendant la cérémonie de clôture.
Jeudi 22 Mai 2008
Si le «Che» a eu droit à une longue ovation, le film de Philippe Garrel, «La Frontière de l’Aube», avec à l’affiche son fils, Louis Garrel et Laura Smet, a reçu la plus forte salve de sifflets dès sa présentation, le matin à 8h30 en séance de presse. Cette réflexion purement esthétique sur l’amour avec quelques incursions révolutionnaires surannées et un côté fantastique malvenu, aura au mieux laissé indifférent, au pire fait rire…ce qui n’était pas le propos du réalisateur. Ceux qui aiment le cinéma avaient un autre rendez-vous incontournable cet après-midi, la Leçon de cinéma donnée par Quentin Tarantino. Malheureusement, bien que l’événement soit organisé dans la grande salle Debussy, la leçon a affiché complet très rapidement… L’autre film en Compétition officielle, «Adoration» d’Atom Egoyan n’a pas convaincu. Bavard, doté d’une musique soporifique, sa réflexion sur la vérité racontée à plusieurs voix et sur la difficulté de reconstruire le passé procède trop de l’exercice de style au détriment du cœur du sujet. Reste quelques scènes dont le metteur en scène d’Ararat a le secret… Cannes, c’est aussi les fêtes qui s’enchaînent avec plus ou moins de réussite. Avoir le bon plan, être au bon endroit pour finir la nuit cannoise est l’autre sport national de Cannes après la recherche des invitations pour les montées des marches en soirée.
Mercredi 21 Mai 2008
Décidemment, l’Argentine est à l’honneur dans ce Festival puisque après le saisissant, «Leonera» de Pablo Trapero, le cinéma argentin présentait le dernier film de Lucrezia Martel, «La mujer sin cabeza». L’enthousiasme est bien moins au rendez-vous que pour son collègue Pablo Trapero dont l’actrice, Martina Gusman mériterait un Prix d’interprétation. Assez plat dans son traitement tant scénaristique que visuel, «La mujer sin cabeza» nous laisse au mieux indifférent, au pire agacé. En soirée et en séance unique, Steven Soderbergh a déroulé son «Che» sur ses 4h28 avec un entracte de 15mn… Deux temps pour deux vies, l’une couronnée de succès avec l’avènement de la révolution cubaine, l’autre faite d’échecs dans la jungle bolivienne. Précis, documenté, authentique, Soderbergh construit son film en ayant conscience que l’Histoire le regarde. Benicio del Toro campe un Che Guevara plus vrai que nature avec un mimétisme parfait et étonnant qui pourrait lui valoir un prix d’interprétation… La soirée a été marquée aussi par la montée des marches de Danyboon et de toute l’équipe du film phénomène qu’est devenu «Bienvenue chez les Ch’tis» qui sera bientôt adapté aux Etats-Unis par Will Smith… Le tapis rouge a accueilli aussi Madonna et Sharon Stone, unies pour défendre les orphelins du Malawi dans un beau documentaire. Les deux dames de cœur seront demain, les stars de la soirée de l’AMFAR contre le sida au célèbre restaurant du Moulin de Mougins.
Mardi 20 Mai 2008
Malgré la pluie qui décidemment s’installe durablement sur la Croisette, les cinéphiles, les badauds sont toujours aussi nombreux à arpenter les abords du Palais. A l’intérieur, les films en Compétition s’enchaînent et présentent tous un intérêt contrairement aux autres années où quelques-uns pouvaient laisser complètement indifférents. Mais le favori pour la Palme d’Or se fait attendre, aucun film ne sortant suffisamment du lot pour l’instant. Depuis ce mardi, c’est chose faite. Du haut de ses 75 ans, Clint Eastwood a signé, avec «L’Echange», une œuvre remarquable, parfaite, sublime. Subtilité du propos, pudeur aussi incarnée à l’écran par une Angelina Jolie bouleversante dans le rôle de cette mère courage qui refuse de baisser les bras, reconstitution historique des années 30 impressionnante, Clint Eastwood est au sommet de son Art. Et ce n’est pas le pourtant très beau…et très lent film du hongrois de Kornel Mundruzco, «Delta», qui pourra le concurrencer. Néanmoins, il faut souligner la performance du couple d’acteurs de ce film sauvage qui risque de vous hanter longtemps, Félix Lajko (Mihail) et Orsi Poth (Fauna). Et puis, en toute fin de nuit, le grand Emir Kusturica, est venu, hors compétition, présentait son dernier film, un documentaire sur la star du football argentin, Diego Armando Maradona. A priori, rien ne prédisposait le réalisateur de «Papa est en voyage d’affaire» ou de «Underground» à se transformer en journaliste cinématographique. Après sa prestation de jongles avec Maradona sur le tapis rouge des marches du Festival, la question ne se pose plus d’autant que les deux hommes partagent la même aversion envers l’interventionnisme américain que ce soit dans les Balkans ou en Amérique du Sud.
Lundi 19 Mai 2008
Gueule de bois au lendemain des fêtes de Cannes et réveil un peu plus tardif puisque les organisateurs avaient eu la bonne idée de programmer «Le silence de Lorna» des Frères Dardenne à 9h…au lieu de 8h30… Cette fois-ci, les réalisateurs belges aux deux Palmes d’Or s’intéressent aux mariages «blancs» et à leurs conséquences au travers du personnage attachant et sensible d’une jeune Albanaise. L’actrice, Arta Dobroshi, postule pour un prix d’interprétation féminine…aux côtés de Martina Gusman, la «Leonera» de Pablo Trapero. Côté masculin, il sera difficile de battre pour la Palme, Joaquin Phoenix qui crève l’écran dans le film de James Gray, «Two Lovers». Beaucoup plus intimiste que son précédent long, «La Nuit nous appartient», James Gray conserve la maîtrise de son cadre qui donne tant de force à son cinéma et «jette» le spectateur dans ses histoires de choix quoiqu’il en coûte et quel qu’en soit les conséquences. En séance spéciale, le metteur en scène italien, Marco Tullio Giordana («Mes meilleures années») a créé l’événement avec son «Sanguepazzo» («Une Histoire italienne») dans la salle Debussy avec une standing ovation de plus de 20 mn pour son équipe portée par la sublime Monica Bellucci… Certainement, le plus beau film présent à Cannes…mais malheureusement hors compétition… Pendant ce temps, au Grand Palais Lumière, le doyen du cinéma, Manoël da Oliveira, a fêté ses 100 ans (dont 78 ans consacrés au cinéma) en se voyant remettre par le Président du Festival, Gilles Jacob, et son Délégué général, Thierry Frémaux, une Palme d’Or qui jusque là l’avait toujours fuit… Juste avant, le public s’était délecté en visionnant une explication malicieuse du maestro portugais sur le mouvement dans un plan fixe avant un film hommage signé Gilles Jacob. Les spectateurs privilégiés de cette séquence émotion ont ensuite pu redécouvrir le premier film muet de Da Oliveira, « Doura, Faina Fluvial », réalisé en 1931… Là encore, le maestro a reçu une ovation énorme qui récompense un metteur en scène plein d’humour et de distance par rapport à son œuvre…