Une micro (nano ???)-secousse ébranle, depuis quelque quatre semaines, le micro (nano ???)-monde des séparatistes et autres identitaires, tant niçois que savoyard : le
traité de Turin, publié le 24 mars 1860, annexant
Nice et la
Savoie à la France, serait abrogé
de facto par suite d'une monumentale erreur du gouvernement français en … 1947, à la suite du traité de paix entre les Alliés et l'Italie, appelé
traité de Paris, qui consacra notamment le rattachement de
Tende,
La Brigue,
Mollières,
Piene et
Libre à la France.
L'inventeur (au sens archéologique du terme) de cette faille n'est autre que Jean de Pingon, le turbulent fondateur de la Ligue Savoisienne, qui revendique l'indépendance de l'ancien duché de Savoie depuis 1994. Le 24 mars dernier (une date qui n'a pas été choisie au hasard !), depuis Genève, il expliquait : "Après la deuxième Guerre mondiale, le traité de paix signé avec l'Italie prévoyait que tous les traités conclus avant le conflit entre les alliés et l'Italie devaient être enregistrés au secrétariat des Nations Unies afin d'être maintenus ou remis en vigueur. La France avait six mois à partir du 10 février 1947 pour le faire ; mais ça n'a pas été le cas".
Et d'en conclure, comme le prévoyait le traité de Paris, que le traité était abrogé depuis le 10 août 1947, imposant donc un retour au statu quo ante, savoir la restitution du duché de Savoie et du comté de Nice à l'Italie !
Relayée par de nombreux médias savoyards, dont le très sérieux
Dauphiné Libéré, cette information a été prise suffisamment au sérieux pour inquiéter le député UMP de la Loire
Yves Nicolin qui, dans une question écrite au gouvernement, interrogeait le ministre de l'Intérieur
(J.O. du 6 avril 2010) sur les risques encourus par la France en cas de saisine des juridictions internationales et sur les problèmes intérieurs que poserait une éventuelle officialisation de l'abrogation du
traité de Turin.
L'argument semble sans faille. Semble seulement car, à y regarder de plus près, nombre d'éléments viennent infirmer l'analyse de Jean de Pingon et peuvent être de nature à rassurer Yves Nicolin.
Sur le fond, l'article 44 du
traité de Paris prévoit bien la notification obligatoire et l'enregistrement par le secrétariat de l'ONU, dans les six mois de son entrée en vigueur, de tous les traités antérieurs à la guerre signés par les puissances alliées avec l'Italie et leur abrogation par défaut en cas de non notification.
Sauf que le texte est d'une précision redoutable :
l'alinéa 1 parle d'une
notification à l'Italie,
l'alinéa 2 d'un
enregistrement au Secrétariat de l'ONU et
l'alinéa 3 d'une
abrogation en cas d'absence de notification.
C'est là que l'argumentation de
Jean de Pingon est réfutable : c'est la
notification à l'Italie de tout traité maintenu en vigueur qui est rendue
obligatoire par les accords de 1947, et
non l'enregistrement à l'ONU.
L'indépendantiste savoyard précise bien qu'il a obtenu du secrétariat de l'ONU la confirmation officielle du non-enregistrement du
traité de Turin du 24 mars 1860
. Mais, quid de la notification à l'Italie ? C'est sa non exécution qui pourrait, éventuellement, entraîner
de facto l'abrogation de l'annexion par la France et pas son défaut d'enregistrement qui constitue simplement (!) une
violation de l'article 102 de la Charte des Nations Unies… qu'il convient en plus de relativiser puisque ni l'alinéa 2 de l'article 44 du Traité de Paris ni
l'article 102 de la Charte des Nations Unies ne fixent de délai impératif à cet enregistrement, la Charte se limitant à un vague "
le plus tôt possible" sans valeur juridique !
Sauf à prouver que la notification à l'Italie n'ait pas été effectuée dans les délais prescrits (cas d'abrogation que la République Italienne serait d'ailleurs la seule à pouvoir invoquer), la montagne élevée par
Jean de Pingon accouchera bien d'une souris !
Article 44 du Traité de Paris du 10 février 1947 1. Chacune des Puissances Alliées et Associées notifiera à l’Italie, dans un délai de six mois à partir de l’entrée en vigueur du présent Traité, les traités bilatéraux qu’elle a conclus avec l’Italie antérieurement à la guerre et dont elle désire le maintien ou la remise en vigueur. Toutes dispositions des traités dont il s’agit qui ne seraient pas en conformité avec le présent Traité seront toutefois supprimées. 2. Tous les traités de cette nature qui auront fait l’objet de cette notification seront enregistrés au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, conformément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies. 3. Tous les traités de cette nature qui n’auront pas fait l’objet d’une telle notification seront tenus pour abrogés.
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Accessoirement, il convient de remarquer qu'une éventuelle abrogation
de facto du
traité de Turin de 1860 ne pourrait, en aucun cas, entraîner
de jure une modification de la frontière franco-italienne et le retour de
Nice à l'Italie : les limites entre les deux pays sont clairement et explicitement définies par les cartes jointes au traité de 1947
(Annexe I, article 2, fontière franco-italienne) et leurs modifications sont décrites minutieusement dans la longue
annexe 2. Le traité de 1860,
explicitement inclus dans la convention du 7 mars 1861 délimitant la frontière franco-sarde, est de ce fait
implicitement inclus dans le traité de 1947…
Enfin, mais ici notre interprétation peut être discutée, rappelons que le traité de Turin n'a pas été conclu entre la France et l'Italie mais entre la France et le Royaume de Sardaigne et plus précisément entre Napoléon III, Empereur des Français, et Victor Emmanuel II, roi de Sardaigne.
La distinction est subtile, certes, mais pas plus que l'argumentation de Jean de Pingon. Il est vrai que, sur un plan strictement institutionnel, le royaume d'Italie n'est que la continuation du Royaume de Piémont-Sardaigne :
- la loi fondamentale du royaume (le Statuto, octroyé par Charles-Albert le 4 mars 1848) est étendue aux anciens états qui, dans un premier temps (Toscane, Parme, Modène, Lombardie) sont annexés par la Sardaigne;
- Victor Emmanuel II de Sardaigne devient Victor Emmanuel II d'Italie (logiquement, il aurait dû s'intituler, après le 17 mars 1861, Victor Emmanuel Ier);
- les traités signés par la Sardaigne sont maintenus en vigueur par l'Italie;
- le drapeau tricolore frappé de la croix de Savoie, adopté par la Sardaigne après 1848 reste l'emblème du nouvel état;
- etc, etc.
Mais l'Italie de 1861 est bel et bien un nouvel état, regroupant d'autres états souverains (Toscane, Parme, Modène; c'est l'annexion du Royaume des Deux-Siciles, conquis par Garibaldi en 1860, qui entraîna, le 17 mars 1861, la proclamation du royaume d'Italie) ou rattachés (la Lombardie, province autrichienne, une partie des États de l'Église).
Au fait, la province autrichienne de Lombardie a été cédée par l'Autriche à Napoléon III qui l'a ensuite donnée à Victor Emmanuel II. Le traité de Zurich (10-11 novembre 1859) et ses annexes (dont la donation de la Lombardie) n'a pas, comme le traité de Turin, été enregistré à l'ONU. Selon les arguments développés par Jean de Pingon, il devrait donc être abrogé de facto et la Lombardie (sauf Mantoue), française pendant quelques heures, devrait retourner à la France !
Montesquieu, réveille-toi ! Ils sont devenus fous !
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