Le grave revers juridique que vient de subir la communauté orthodoxe russe de
Nice (suivre ce lien pour en savoir plus) braque les feux de l'actualité sur cet édifice hors du commun, emblématique de la cité et témoin incontestable de son passé, tant il est vrai qu'une longue histoire d'amour lie
Nice au peuple russe. Il nous a paru utile de rappeler, en quelques lignes, comment et pourquoi ce bel édifice a vu le jour à
Nice, entre 1903 et 1912.
Lorsque l’Impératrice douairière
Maria Feodorovna vient à
Cap d’Ail avec le prince héritier et le grand duc Georges en 1896, l’église de la rue Longchamp à
Nice, consacrée en 1860 et qu'avait en partie financée son homonyme, la grand-mère du tsar
Alexandre III, est devenue insuffisante pour les besoins du culte.
L’archiprêtre Lubimoff lui présente ses projets d’une nouvelle église en 1900.
La première idée est d’élargir l’église de la
rue Longchamp, mais les démarches administratives ne peuvent aboutir. Un terrain est alors acheté à l’angle des rues Verdi et Berlioz. La situation à l’angle de deux artères de
Nice donne l’idée à l’architecte de faire deux portes d’entrées identiques. Il choisit le style des églises russes des XVIe et XVIIe siècles avec une partie centrale plus haute entourée de cinq coupoles grandioses. Une première estimation du coût est fixée à 200?000 francs et on décide de commencer les travaux. Mais quand les fouilles pour les fondations sont entamées, l’architecte s’aperçoit que le sol gorgé d’eau ne permet pas une construction d’une telle importance.
Les travaux sont arrêtés jusqu’en 1902, et l’impératrice demande à son fils l’autorisation de construire l’édifice dans le Parc Bermond, alors propriété de
Nicolas II, à côté du mausolée du tsarévitch.
Nicolas II accepte et la première pierre est posée en grande pompe en avril 1903. Les travaux vont durer 9 ans et demi. En 1906, lils sont à nouveau arrêtés par la perte d’une grande partie du capital due à la baisse des emprunts russes liée à la guerre russo-japonaise. Mais en 1908,
Nicolas II décide que les travaux doivent être achevés et fait un don personnel de 700 ?000 francs-or.
Le projet, dressé par l’architecte
Préobrajensky, prévoit des matériaux en harmonie avec la nature de la Côte d’Azur. Les briques qui garnissent la façade sont de provenance allemande, le marbre français, le granit rose italien, les tuiles vernissées florentines, la pierre provient des carrières de
la Turbie. Mais la décoration respecte scrupuleusement les règles de l’iconographie orthodoxe.
La dépense totale pour l’ensemble des travaux du seul édifice s’élève alors à 1 ?500 ?000 francs-or, dont les 700? 000 francs donnés par l’Empereur
Nicolas II.
La réalisation de l’iconostase est confiée à
L.A. Pianovsky. Il travaille six mois dans les vieilles églises de Iaraslav et Moscou et réalise un des chefs-d’œuvre de l’art religieux russe.
Les objets décoratifs sont presque tous des dons des membres de l’église. Ils sont une synthèse des divers styles de l’art religieux russe et font de l’édifice entier et de sa décoration un véritable musée.
L’icône de Saint Nicolas mérite un regard particulier. Elle appartenait au prince héritier
Nicolas Alexandrowitch qui l’avait amené de
Saint Petersbourg dans ses bagages. Lors de sa mort à
Nice, l’icône fut placée au-dessus de son lit, puis confiée à l’église russe de la
rue Longchamp en attendant la fin de la construction de la chapelle commémorative à la mémoire du tsaréwich. A ce moment-là, elle fut placée au-dessus du portail d’entrée. Les rayons du soleil la rendirent très foncée et méconnaissable, et elle fut reléguée derrière l’iconostase de l’église. En 1935, on remarqua que l’image redevenait plus claire. Elle est devenue une des icônes les plus vénérées de la cathédrale.
L’inauguration de la cathédrale a lieu en décembre 1912 devant des représentants de la famille impériale de Russie. Elle est suivie d’un grand déjeuner à l’Hôtel du Parc Impérial, aujourd'hui Lycée éponyme, à
Nice.
L’église est la seule d’Europe à avoir été érigée en cathédrale hors Russie. Joyau d’histoire et merveille architecturale, elle est le dernier cadeau que la famille impériale fit à
Nice, puisque cinq ans après sa consécration, le régime tsariste était emporté par la tourmente. Elle est restée un lieu d’espoir et d’exil pour tous les Russes qui avaient perdu leur patrie et revenaient à
Nice après 1917.
Pour en savoir plus :
Alex BENVENUTO : LA CÔTE D'AZUR DES RUSSES - Points de repères sur la longue histoire d'amour entre les Russes et la Côte d'Azur.
Luc THEVENON : EGLISES RUSSES DE LA RIVIERA -
De Saint-Raphaël à San Remo.
Martine ARRIGO-SCHWARTZ : AME SLAVE AU PAYS BLEU