— Eh bien demain, je me mettrai en route pour découvrir le village. J’ai décidé d’y aller faire un petit tour. Je ne voudrai pas que l’on me prenne pour un simple expatrié, vous savez. De retour au pays, carrière faite, j’ai déjà visité Nice, Grasse, Cannes, Menton avec mon épouse avant de remonter dans son village.
Tout agacé qu’il fut, Costa se sentit l’envie d’abattre son nouvel ennemi. Il songea à engager la bataille sur le plan du Comté.
— Vous connaissez La Brigue ? Notre Dame des Fontaines ? Les fresques du Canavesio ? C’est étonnant vous savez, ces peintures du XV° siècle au bout de nulle part. C’est un des endroits que je préfère, même si j’adore le Brea de notre village, aussi beau que ceux du monastère de Cimiez.
De même que les Français, quand ils se rencontrent, cherchent frénétiquement à se trouver une relation commune dans une ville familière, les habitants du Comté essaient de dénicher un coin qu’ils connaissent tous les deux pour mentionner des personnes ou des détails que l’autre n’aura jamais vus, mais dont il aura entendu parler. Les Français s’efforcent de retrouver un point commun, des connaissances communes, du moins lorsqu’ils se retrouvent à l’étranger, le Niçois tente d’imposer le respect à l’autre dans sa connaissance qu’il a du Comté et de son histoire. Ils ne s’opposent pas de front, mais ils sont de l’Académia ou du Sourgentin, parfois des deux.
Les haines peuvent devenir fortes de celui qui affirmera le mieux son Identité niçoise.
M Chappuis trouva mieux :
— Je suis allé voir les Brea de Monaco, et surtout ceux du Piémont et de Ligurie, de véritables merveilles. Etes vous allé jusqu’à Gênes?
Cela rappela à Costa les discussions passionnées, à la mode gavote, sur le point de savoir quel était le meilleur itinéraire entre deux rues de Nice que, soit dit en passant, ne fréquentent jamais aucun des polémistes.
Il changea alors d’angle d’attaque :
— Et, puisque vous connaissez si bien Nice, êtes-vous allé jusqu’à la grotte de Saint-André et à la pyramide de Falicon. On dit qu’elle recélerait un trésor des Templiers, ramené d’Egypte !
M Chappuis ne s’avoua pas vaincu mais marqua un temps d’arrêt.
— Ma foi, ce sont plutôt des promenades pour touristes, j’en ai pris connaissance dans l’ouvrage d’Emile Négrin et cela me suffit amplement. J’ai préféré me promener dans les ruines du Château de Nice, que les Français ont finalement bien fait de raser pour en faire une promenade.
Costa manqua s’étouffer.
M Chappuis profita de son avantage pour se lever et ajouta :
— D’ailleurs, demain nous quitterons votre auberge pour prendre possession de notre maison. On m’a dit qu’elle était une des plus belles du village.
— Oui, mais bien proche de Bourgenbas et fréquentée, dit-on, par Albert le berger, avant votre arrivée, bien sûr ! répliqua Costa. Il pourrait vous la faire visiter, du grenier à la cave, si vous le désiriez.