PORT NICE CORSE - Le succès de la récente Fête du Port ne doit pas brouiller le regard: le bassin Lympia est loin d’être à la fête… En dépit d’un cadre idyllique, d’une voirie embellie bien que peu pratique (avec l’utilisation détournée de tous les sites de livraisons) et malgré les yachts rutilants, notre port est une cocotte minute au bord de l’implosion. Le couvercle s’est soulevé cet été lorsque, sous la pression de certains riverains, et en coulisses vraisemblablement de la ville de Nice, Eric Ciotti a tapé sur les doigts des compagnies de ferries auxquelles il reproche trop « d’entraves et manquements aux règles », règles édictées par un conseil portuaire pointilleux concernant les plages-horaires dédiées au trafic vers la Corse, qu’il soit diurne ou nocturne.
La fermeté du président du Conseil général, allant jusqu’à les menacer de « réduire l’accès au port », a paru bien disproportionnée aux compagnies: en début d’année, elle avaient dû se plier à une première révision d’horaires, alors que leurs programmes saisonniers avaient déjà été distribués au public. À une époque où même les TGV n’arrivent plus à l’heure, les butoirs imposés aux bateaux (dernière arrivée à Nice à 22h30 et ultime départ à 23h30) feraient fi de trop d’impondérables. Météo, problèmes techniques et parfois même sociaux, même en haute saison (deux à trois mouvements de grève pour ce mois de juillet), il faut aussi prendre en compte l’encombrement quasi-systématique des ports corses, qui de fait perturbe le transit niçois. Devant les « embouteillages » bastiais de cet été, Matthieu Hinchliffe, responsable de l’agence SNCM de Nice, s’interroge: « Le débarquement de 600 voitures en trois heures, au lieu de l’heure et demi prévue par les autorités portuaires, sera-t-il considéré comme un alea ou un cas de force majeure? »Croisière, fret de ciment, trafic avec la Corse: depuis des années, l’activité commerciale du port exaspère un groupe de riverains du boulevard Franck Pilatte, emmené par l’architecte Jean-Michel Bidart. Parmi eux, nombre de résidents secondaires, qui, soyons objectifs, ne pouvaient ignorer, en achetant aux abords du site, les nuisances induites par ces mêmes activités. Ils rêvent de… sa disparition. Et se disent agressés pendant trois mois d’été par des records de bruit, poussières, fumées et autres vibrations somme toute inhérentes à la présence de navire, en action ou à l’arrêt, de jour comme de nuit. Et si les compagnies se défendent en prétendant avoir réduit l’impact de ces inconvénients, elles se disent impuissantes à les éliminer. Très remontés contre la CCI, gestionnaire des lieux, les riverains mécontents ont profité du transfert de propriété au Département pour trouver un subit écho auprès de ses élus et d’une nouvelle équipe municipale portée sur le développement durable: une thématique récurrente qui s’est illustrée dans la rénovation de la voirie ceinturant les bassins, menée tambour battant par Christian Estrosi, avant même que ne soit clairement affiché l’avenir du port urbain. Un hypothétique transfert d’activités plus à l’est? On en parle depuis 1975… L’option ouest, à proximité de l’aéroport, semble quant à elle totalement éliminée.
Ces premiers travaux d’envergure, qui renforcent haut et fort l’usage touristique du quartier, en précèdent d’autres à vocation portuaire cette fois. Des travaux indéfiniment reportés par l’Etat, ex-propriétaire, qui aujourd’hui se révèlent urgents: confortement des quais plus que dégradés, dragage des bassins dont l’envasement actuel provoque moult fumées, ou encore construction de deux parkings publics. Et là vient se coincer un nouvel os: qui paiera la facture? Les 135 entreprises et 1.373 salariés de l’activité portuaire réunis sous la bannière de la NUM (Nice Union Maritime) présidée par Thierry Voisin ne décolèrent pas: alors que leur demande de parking de pré-embarquement pour les véhicules en transfert vers la Corse n’a jamais abouti, voilà qu’aujourd’hui les coûteux travaux du futur parc-autos public du quai de la Douane absorberaient la coquette somme de 20 M€, prélevés dans le budget de la concession port: « un argent qui a été généré par nos activités portuaires, donc par les professionnels et leurs clients, et qui devait servir à l’adaptation du bassin aux marchés commerciaux. » Conclusion: « On est en train de nous condamner. »
On dira qu’ils vont vite en besogne, et que Eric Ciotti a récemment rappelé son « engagement pour que le port de Nice puisse continuer à jouer pleinement son rôle économique et touristique tout en répondant aux exigences environnementales ainsi qu’au légitime souhait de quiétude des riverains. » Oui mais voilà, comment obtenir ce bel équilibre dans la configuration actuelle des bassins? L’une des solutions: que les compagnies remplacent leurs flottes de ferries traditionnels (130 mètres) par des unités plus modernes et plus imposantes (180 mètres). Il faudrait donc se résoudre à retoucher la grande jetée, ce qui n’est pas au programme de l’aménagement urbanistique retenu par le protocole du 24 juin qui lie CCI et Conseil général. Ni à celui des autorités politiques, qui auraient plutôt opté pour un flux optimum de passagers toisant les 750.000 transits et concocteraient un nouveau resserrement des horaires. Un écueil de taille: les compagnies pourraient bien ne pas accepter cette contrainte supplémentaire, et carrément quitter Nice pour d’autres ports d’attache plus accueillants. Surtout à l’heure où se discute devant l’assemblée de Corse la potentielle perte de subventions versée au titre de la continuité territoriale et de la délégation de service public au profit de Toulon ou de Marseille…
Or la Corse reste prédominante dans l’exploitation financière du port de Nice: elle y pèse de ces 36% (10,7 M€ HT de recettes pour 2009), loin devant l’activité croisière déjà mal en point (20%), qui souffre elle-aussi d’installations obsolètes et d’une concurrence accrue de ses proches voisines Cannes ou Monaco. Les petites et grandes plaisances avec leurs 26% ne peuvent pas non plus relever le défi, comme en rêvent certains. Pour faire mieux dans ce dernier registre, et rendre utilisable notre quai Infernet, il faudrait une digue à la Tour Rouge: on imagine… Et les conséquences, en cas de défection du trafic vers la Corse, pourraient se dévoiler catastrophiques: si le système flanche, c’est tout l’appareil commercial du quartier qui s’effrite, du boulanger au marchand de primeurs en passant par le pharmacien. Voilà qui devrait faire réfléchir les énervés riverains du Parc Vigier…
Quarante-cinq ans de présence, dont une bonne part à la tête du Nautique, l’une des belles enseignes d’un quai Lunel devenu lieu de promenade, Marie-Claire Solari se veut directe: « si la Corse s’en va, 30% de notre chiffre d’affaires s’envolera. » Et avec eux, la pérennité de ses 14 emplois. Présidente de l’association des restaurateurs, commerçants et riverains, elle n’exagère guère l’impact: il a été autrement mesuré en juillet dernier, lorsqu’elle a dû négocier avec la CCI l’ouverture des grilles du quai du Commerce lors des embarquements vers l’Ile de Beauté. En ébullition, les commerçants fustigeaient une décision administrative qui piégeait les éventuels clients dans leurs voitures.
Sauf à faire une croix sur une bonne partie des 447 M€ de chiffre d’affaires générés par cette seule activité des ferries (11.654 emplois directs ou indirects), dans une ville à la santé économique chancelante, un port de commerce est donc nécessaire. Allons plus loin: l’écologie tant prônée, qui empêcha futilement sa refonte complète au tournant du XXIème siècle, milite plus que jamais en faveur du transport maritime, qu’il s’agisse de fret ou de passagers, et ce afin de soulager un trafic routier devenu étouffant. Ici plus qu’ailleurs, surtout lorsqu’on refuse une A8 bis… Nos élus n’ont en réalité guère le choix, n’en déplaise aux riverains agacés par l’impertinence de ces satanés acteurs économiques portuaires dont le seul défaut reste de faire vivre un quartier, une ville et une île.
Jacques BRUYAS
LA TRIBUNE COTE D’AZUR