Le 16 septembre 1947, la France réalisait son dernier accroissement territorial avec le rattachement au Comté de Nice des communes de Tende et La Brigue et des hautes vallées de la Vésubie et de la Tinée, consécutif au traité de paix franco-italien signé le 10 février à Paris entre les Alliés et la toute jeune république italienne. Les deux villages de la haute vallée de la Roya n'avaient pas suivi l'arrondissement de Nice lors de son annexion en 1860 et étaient demeurés italiens au mépris de la volonté que ses habitants avaient exprimée à ce moment-là. Samedi 15 et dimanche 16 septembre, Tende et La Brigue commémoreront le soixantième anniversaire de cet événement dont nous rappelons ci-dessous tenants et aboutissants en reproduisant l'article publié par Marc Ortolani et Jean-Louis Panicacci dans le Dictionnaire Historique du Comté de Nice publié par Serre Éditeur.
Parmi les manifestations, un colloque scientifique auquel prendront part, notamment, le sénateur José Balarello, Luc Thévenon, Marc Ortolani, Jérôme Magail... se déroulera ce samedi à Tende, sous les auspices de l'Irep-Come tandis qu'une exposition et diverses conférences auront lieu à La Brigue samedi et dimanche, en collaboration avec l'association AMONT. Christophe Coutenier et Bernard Gastaud, petit-fils de l'un des principaux artisans de ce rattachement, y présenteront un ouvrage publié pour l'occasion par Serre Éditeur : Aimable Gastaud (1900-1974), l'âme du rattachement de Tende et La Brigue à la France en 1947. Un film d'archives, réalisé par le Brigasque René Sassi, sera également projeté. Ce document exceptionnel a par ailleurs été rajouté sur le DVD du film "Lignes de partage, histoires de frontières" réalisé par Hervé Barelli en 1997. Produit par Serre Éditeur, le DVD vidéo sera également présenté officiellement à l'occasion de ces manifestations.
Le Rattachement de Tende et La Brigue à la France (1947) En mars 1860, lors de la négociation du traité de Turin cédant le comté de Nice à la France, l’Italie conserve les communes de Tende et La Brigue ainsi que quelques territoires appartenant à d’autres communes frontalières (Isola, Saint-Sauveur-sur-Tinée, Rimplas, Valdeblore, Saint Martin-Vésubie, Roquebillière, Belvédère), bien que les populations locales, à l’occasion du plébiscite des 15 et 16 avril, se soient massivement prononcées en faveur de la France. Sous prétexte de préserver les terres de chasse du roi d’Italie, le premier ministre transalpin Cavour se rend maître des crêtes et des principaux cols (Tende, Fenestre, Cerise, Fremamorta, Lombarde), s’assurant un avantage stratégique considérable. Malgré le nouveau tracé frontalier, Tendasques et Brigasques continuent à entretenir des relations très étroites avec le littoral niçois devenu français, pour des raisons sociales (liens familiaux) et surtout économiques (transhumance, travail saisonnier), et ce d’autant plus que les relations avec le Piémont sont difficiles l’hiver et que des facilités douanières leur ont été consenties. Dès 1943, le CFLN reçoit à Alger un mémoire pour la rectification de la frontière et le rattachement à la France des deux communes, qui est rédigé pour l’essentiel par le docteur Paschetta, président du Club Alpin Français de Nice. Un article paru dans Combat de Nice le 10 septembre 1944 formule la même revendication, reprise par le CDL des Alpes-Maritimes le 4 octobre. Un Comité d’études pour la rectification de la frontière franco-italienne dans les Alpes-Maritimes, présidé par Joseph Levrot (directeur de la bibliothèque municipale de Nice), est créé le 15 septembre, transmettant, en décembre, un mémoire de 46 pages au ministre des Affaires étrangères Georges Bidault et au chef du gouvernement provisoire Charles de Gaulle. Le 18 septembre, sous l’impulsion du Brigasque Aimable Gastaud, se constitue le Comité pour le rattachement de Tende et La Brigue, présidé par Charles Fenoglio, encadrant les natifs et originaires de la Haute-Roya résidant dans la région niçoise et jouant le rôle d’un groupe de pression sur les autorités. La Haute-Roya demeure occupée par les troupes allemandes jusqu’au 26 avril 1945, date de l’entrée des tirailleurs algériens du 29e RTA à Tende et La Brigue, à l’issue des durs combats de l’Authion. Deux jours plus tard, un convoi de 320 Tendasques et Brigasques résidant sur le littoral quitte Nice à destination de la Haute-Roya afin de porter secours aux populations et d’attiser le courant francophile, au moyen d’affiches (rappelant le vote émis en 1860, proclamant la déchéance des autorités italiennes ainsi que l’attachement à la France) et de drapeaux tricolores. Le 29 avril, dans la liesse de la libération, un plébiscite est organisé par le Comité et ceux qui prennent part au vote s’expriment en faveur de la France : 694 oui et 38 abstentions à La Brigue (les hameaux de Piaggia, Carnino et Upega n’ont pu être consultés), 1 076 oui à Tende. Une administration provisoire française est installée et les membres du Comité dirigent les municipalités. Le 6 mai, le général Doyen préside une prise d’armes à Tende, au cours de laquelle il déclare : « La Roya coule vers la France, vos cœurs vont vers la même direction ». Les pressions exercées par les Anglo-Saxons imposent le retrait des troupes françaises à compter du 10 juillet, dans un climat d’extrême tension suscitant le départ de plusieurs dizaines de partisans de la France craignant des représailles de la part des autorités italiennes qui se réinstallent, sous le contrôle d’une mission interalliée. Paris accueille en 1946 des conférences qui règlent la délicate question frontalière avec l’Italie, sanctionnée par le traité signé le 10 février 1947 : Tende et La Brigue deviennent français (ainsi que les hameaux de Piene et Libre rattachés à Breil), tandis que les hameaux brigasques de Carnino, Piaggia, Realdo, Upega, situés au-delà de la ligne de crête, demeurent italiens malgré les protestations de leur population et le recours adressé à l’ONU. Marc ORTOLANI – Jean-Louis PANICACCI |