CAIRASCHI EUSÉBI - Comment cultiver l’art de la nissartitude au quotidien.
La nissartitude n’est plus tout à fait ce qu’elle était depuis que
Jean-Marc Eusébi s’en est allé. La dernière fois que j’ai croisé son regard, éternellement bleu et chaleureux, ses yeux témoignaient du combat inégal qu’il menait contre cette saloperie de cancer. Un an de souffrances. À 45 ans, Jean-Marc, a quitté cette ville que cet artiste aimait tant et dont il a su décliner la diversité. Rien n’échappait à son crayon : créateur du journal satyrique «
Barre à Mine » ou «
Scènes d’Azur » dessinateur, graphiste en publicité, éditorialiste, enseignant en art et communication, auteur dramatique de bandes dessinées, romancier et concepteur de chars du
carnaval de Nice.
Eusébi incarnait une certaine forme de nissartitude, loufoque et décapante. Ses œuvres en témoignent, et notamment «
Le carnaval de Cougourdon » inaugurant une série d’ouvrages bilingues français-niçois. Mais s’il y a bien un message - il n’aurait pas apprécié le mot - plutôt, un clin d’œil, que semble adresser
Jean-Marc Eusébi à tous les amoureux de
Nice c’est de pratiquer l’art de cultiver l’attachement à cette singulière cité. La
nissartitude qui imprégnait, grâce à son humour acidulé, ses chars de carnaval nous renvoie à l’
identité niçoise dans ce qu’elle a de plus populaire au bon sens du terme. Sa dérision, ses répliques corrosives dissimulaient une vieille camaraderie avec sa ville. C’est qu’il l’aimait l’artiste. Alors la meilleure chose qui reste à faire pour tous ceux qui souhaitent penser à lui c’est d’entretenir sa propre nissartitude. En toute liberté. Se replonger au cœur de nos traditions et notre patrimoine, réapprendre à voir
Nice au-delà de ses embouteillages, de ses travaux du tram, savourer les milles et un recoins de cette cité où se niche encore-et pour longtemps, l’
authenticité Nissarde. Il suffit de pénétrer dans une église, arpenter une ruelle, fouiner un peu dans les quartiers, quels qu’ils soient. De
Saint Antoine Ginestière, en passant par
La Madeleine, la
place Garibaldi jusqu’aux rives du
Paillon, partout, palpite une parcelle de terroir niçois qui mérite le détour. Parfois, le regard s’arrête sur une partie de cartes ou de boules qui s’éternise, témoignage d’une tradition ancestrale. Ces moments de bonheur du
Comté de Nice, tous simples,
Richard Cairaschi les évoque avec humour et une certaine nostalgie dans son dernier one-man-show «
C’est déjà demain » ( jusqu’au 21 janvier au
Théâtre de la Cité).
Richard Cairaschi, autre chantre de la nissartitude, emprunte souvent les mêmes sentiers humoristiques qu’
Eusébi. Sans verser dans le folklorisme nostalgique béat que raillait
Eusébi, Cairaschi, le créateur des «
Chaises de la Promenade » et des «
Cent ans du Gym », dénonce l’inanité du modernisme. Il sait mieux que quiconque prendre «
du recul » par rapport au monde actuel. Le spectacle est construit autour d’un village, du pays niçois bien sûr «
C’est un peu l’histoire du rat des villes et du rat des champs, confie-t-il.
Et cela permet de situer comment les villageois perçoivent le modernisme Ou comment l‘inutile va devenir indispensable ».
Passent ainsi à la moulinette le portable, «
l’interné ! », pas l’internet. Le comédien, en filigrane, évoque des personnages terriblement «
nissarts », que l’on pourrait croire à jamais issus du passé et qui, pourtant, sont bel et bien présents aujourd’hui encore sur les places des villages ou au cœur des quartiers de Nice. Autant de personnages savoureux qui nous ramènent sans doute à l’essentiel : une certaine forme d’humanisme. Comme le souligne, un autre adepte de la nissartitude,
Jean-Marc Giaume, le président de la fédération des associations du
Comté de Nice qui se bat pour la préservation de notre patrimoine : «
Jean- Marc Eusébi et Ricard Cairaschi sont des humoristes passeurs de mémoire qui, par leurs créations, puisent dans la richesse du patrimoine nissart ».
Paul Barelli