J'aime bien ce titre. Il a comme un goût de magazine à roman-photo, lu rapidement chez une vieille cousine, ou voisine, célibataire, vivant avec son papa et sa maman, et en qui pourtant tous espérance n'est pas morte. Existent-ils toujours, ces magazines ? Comme ça, spontanément, je dirais que non : on est passé à un autre stade, et l'explicite a remplacé la mièvrerie. Le lecteur a besoin d'excès, dans un sens ou dans l'autre.
Ce titre, je me l'applique, et dans des circonstance bien particulières au moins. Nous étions à Malte, avec mon fils, toujours, enfant. Après la visite de La Valette, détour par l'ancienne capitale de l'île, au centre, un rocher, sans doute le point culminant de ce territoire si réduit. Mdina, me semble-t-il, c'est le nom de cette bourgade fortifiée dans les règles de l'art du XVIIe, escarpe, fossé, contrescarpe, courtine, bastion, pont-levis et belle porte baroque à l'arc surmonté des armes du grand-maître bâtisseur de l'ensemble, à l'époque des chevaliers. Un aspect général de Villefranche, pour ceux qui voudraient mieux imaginer. A l'intérieur de l'enceinte, une grande rue et des maisons à deux étages, décors et balcons très proche de l'architecture urbaine baroque sicilienne. Beaucoup de soleil, des murs de pierre beige et rose. Au centre du bourg, une belle église baroque, toujours, et devant une place bien ordonnancée, rectangulaire, bordée de palais. Dans un coin de la place, des fiacres à touristes. Devant l'église, sur le parvis, fiers vestiges des combattants chevaliers, quatre canons en batterie, des modèles apparemment antérieurs au XIXe.
Combien de chances y avait-il pour que je tombe là-dessus : Malte+Mdina+place+canon ? Déjà, au départ de Nice, la proportion était infime, me semble-t-il, mais je ne me risquerais pas à la calculer, il y a des limites qui s'imposent. Mais voilà : parmi les quatre, alors que l'île fut trois siècles durant parcourue de dizaines de chevaliers issus de toute l'Europe catholique, de toute sa noblesse et de toutes ses couronnes, là, un canon, et sur le fût, impudiques, orgueilleuses, me narguant de tous leurs lions, chevaux, aigles et bandes et barres et croix, les grandes armes des ducs de Savoie. Des canons, à Malte, il y en a partout, on en est fier, là-bas, on est plutôt heureux d'un passé militaire aussi féroce que meurtrier. Ils sont l'équivalent de nos palmiers. Il y en a tant, d'ailleurs, aux portes, sur les places, devant les palais et les églises, que finalement on ne les voit plus. On aurait pu mettre là cent autres pièces et cent autres armes ; après en avoir vu des dizaines, j'aurais pu ne pas faire attention, passer, ignorer superbement, et avec lassitude. Eh bien non, il a fallu que j'en regarde un et je tombe juste sur celui-là ! J'ai donc fait mille kilomètres pour me retrouver face à un objet familier ! Ne me demandez pas comment il était arrivé dans cette île ; au fond, c'est naturel, si on regarde la Méditerranée comme un lien, et non comme une frontière.
L'année suivante. Nous sommes à Héraklion, capitale de la Crète. Nous descendons vers le port. Au bas d'une rue pleine d'échoppes, mélange de bazar balkanique et de souk soudanais, au bout d'une digue asphaltée, brûlante comme le Teflon d'une poêle juste avant qu'on y pose l'oeuf, le fort Koulès, bloc massif posé là par les Vénitiens pour se défendre contre les Turcs. Passée la porte, obscurité et fraîcheur. Pas de cour, tout est couvert. Dans la pénombre, on aperçoit des canon. Je dis à mon fils : "Tu vois pas que...?" Premier fût : des fleurs de lys. Raté, j'en suis presque soulagé. Deuxième fût, rouillé, rongé visiblement par l'eau de mer d'où il a été extrait... Oui ! Vous avez deviné ! Oui ! Encore ! Again ! La croix, les lions, les aigles, le cheval, bandes et barres ! Où que j'aille, partout, ils sont là ! Ils m'attendent ! Et celui-là, en plus, on est allé le repêcher ! Imaginez un peu !
Quand je vous disais que je suis marqué !