A serious man, film de Joel et Ethan Coen, est donc sorti le 20 janvier 2010 sur les écrans français. Je l’ai vu à Nice, au Rialto, en VO (indispensable), à l’invitation de mon fils.
Les critiques étaient partagées, les réactions des amis le furent aussi. Une partie des critiques et des amis le trouvaient mauvais, parce qu’on ne comprend rien à ce récit de la vie lamentable d’un petit prof de maths juif, vivant avec sa communauté et une famille de crétins au milieu du Midwest (ce qui fait beaucoup de milieux) ; l’autre partie des critiques et des amis le trouvaient génial parce que riche de la complexité du questionnement de la culture juive, de sa pensée, de ses formes et de son poids. Il y avait en somme, chez les premiers, un déni, et chez les seconds un excès de compréhension.
Je n’ai rien éprouvé de tout cela.
D’un point de vue historique, je me réjouis d’être Niçois pour pouvoir, contemplant le passé, me dire que mes ancêtres ont résisté en grande partie, à travers les siècles, y compris lors de la Seconde Guerre mondiale, à l’ignominie de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme. Imparfaitement, certes, pour des motifs intéressés, sans aucun doute. Il n’empêche qu’à Nice, depuis le XIVe siècle et les premières traces de la présence d’une communauté juive, malgré les fortes racines catholiques de la population, les Juifs ont été accueillis et plutôt mieux traités qu’en France, par exemple, ou a fortiori en Espagne. Progressivement, du XVe au XVIIIe siècle, les contraintes et humiliations qui pesaient sur les juifs ailleurs ont ici été levées, et il est bon de le dire.
A titre personnel, je suis admiratif de la profondeur de la pensée et de la culture juives, surtout de son rapport primordial aux mots qui me sont si chers (voir une précédente chronique). C’est souvent avec ravissement que je suis les émissions religieuses juives du dimanche matin, surtout quand les sujets abordés tournent autour de mots-valeurs. Je connais peu en revanche la littérature juive ancienne et moderne, à l’exception de certains passages de l’Ancien Testament dont la force me ravit, notamment le cantique de Moïse (Exode, XV, 1 à 19), grand texte épique. Pour autant, je n’ai rien retrouvé de cela dans A serious man.
Souvent, avec les frères Coen, et de plus en plus (je confesse aimer beaucoup leur cinéma), il y a moins à comprendre qu’il n’y a à voir. Surtout, dans ce monde surchargé de sens, ne plus chercher à comprendre. Ceux qui sont allés voir ce film comme un objet sensé, avec un début, un milieu et une fin portant les prémisses et la vérification d’une démonstration sont restés en deçà du propos des auteurs ; et ceux qui l’ont regardé comme une démonstration de la complexité de la pensée juive, par ailleurs réelle, sont allés au-delà.
Le destin de Larry Gopnik, le principal protagoniste du film (je n’ose pas parler de héros) n’a pas de sens, comme le nôtre. Il vit dans un monde absurde, le nôtre, gouverné par des rapports humains absurdes, comme la plupart de ceux que nous entretenons avec les autres. Chaque membre de sa famille suit une trajectoire personnelle, parallèle et indifférente à celle des autres ; les savants vénérés ratiocinent ; les collègues intriguent. Il ne sert à rien d’être un homme sérieux (« I’m a serious man », proclame Larry), le sérieux d’un seul ne défait pas l’absurdité du monde, il la rend au contraire plus évidente encore. Voilà ce que moi, je retiens de ce film. Surtout, si vous le voyez, ne cherchez pas à comprendre, laissez-vous porter et ne vous étonnez de rien. A propos d’un taureau promis à la mort dans l’arène, Francis Cabrel se demandait si ce monde est sérieux. Larry Gopnik nous répond, involontairement, que non.
L’inconvénient, ce n’est pas que Larry Gopnik soit sérieux, c’est que ce monde absurde croie l’être.
A serious man (2008), film américain de Joel et Ethan Coen.