Pourquoi a-t’il tué Albert le berger et raté de justesse la petite Baptistine, si ce n’est pas pour aller récupérer la rançon à sa portée.
Pendant sa nuit d’attente, Jean Dibagnette a réfléchit aux suppositions les plus folles. Et, avec le café du matin, une nouvelle idée lui vient. Certes, l’hypothèse est énorme, mais, tout cadrerait parfaitement.
Si toutes ces lettres n’étaient qu’un énorme écran de fumée. Si tout se révélait faux depuis le début.
Comment avait-il procédé après les révélations de M Chappuis. Il s’était borné à foncer tête baissée dans la recherche de tous les ennemis qui pouvaient chercher à se venger de M Chappuis. Pas un instant il ne s’est intéressé à la personnalité de la première victime, puisqu’on l’avait obligé à penser qu’il était mort choisi par un malheureux hasard.
Et si on prenait le raisonnement exactement à l’inverse ? Si pour un mobile encore mystérieux, on avait voulu tuer Albert le berger et personne d’autre.
L’assassin prépare les esprits en remettant à M Chappuis, cible idéale gorgée de son importance, une première série de lettres anonymes. Il est riche, il a réussi à se faire beaucoup d’ennemis que l’on pourra rapidement soupçonner.
Deuxième étape d’un plan machiavélique, le meurtrier annonce qu’il va tuer au hasard.
Son objectif caché est atteint, mais il doit encore donner le change. Il feint alors d’être furieux de la protection des gendarmes et annonce qu’il va tuer à nouveau.
Mais, comme son objectif réel est Albert et que notre homme n’est pas un tueur en série, il tire au dessus de Baptistine au moment où il la voit se baisser. Il se trouvait à quelques mètres et n’aurait pas pu la rater s’il l’avait voulu.
Reste le mystère de la rançon. Dix mille francs représentent une somme considérable, mais, si le meurtrier connait bien le village, il peut imaginer qu’il risque gros lors d’une traque que pourraient organiser des gendarmes connaissant bien le pays. Et s’il ne désirait pas cette rançon, si ce n’était pas son objectif. Cela expliquerait qu’il ne se soit pas rendu jusqu’à l’oratoire.
Et Jean Dibagnette et La Busca redémarrent leur enquête comme ils auraient du procéder depuis le début. Ils se renseignent dans le village sur la personnalité d’Albert le berger. Petit à petit, les langues se délient. La postière, l’épicière, le boulanger, l’ancien maire, le maçon, le cantonnier interrogés confirment qu’Albert était bien un homme adorable, … à une exception près.
Entre un sac de lentilles et le jambon qui se racornit sous la cloche grillagée, à l’abri des mouches, l’épicière lâche :
— Il n’y a que son fils qui lui a donné des soucis. Un vaurien qui à l’époque était même entré dans l’auberge en cassant une nuit les barreaux du soupirail derrière l’établissement de Costa pour voler quatre sous dans une cachette repérée en prenant le pastis. Il l’avait chassé de sa maison de Bourgenbas et lui avait intimé l’ordre de ne plus jamais se présenter chez lui. Son fils s’était alors installé dans une ferme éloignée du village. Je l’ai revu l’autre jour. Il m’a demandé la clef de la petite maison de son père. Comme il était son seul héritier, je n’avais aucune raison de lui refuser. Depuis, je ne l’ai plus vu.