Le Pays niçois est un enchevêtrement de montagnes, compartimentées en petits bassins qui furent longtemps isolés les uns des autres, repliés sur eux-mêmes, et à l’écart des grands courants extérieurs de la Ligurie ou de Provence. De tout temps, la cuisine niçoise dut tirer sa subsistance du sol même où elle est née. Or, on s’en doute, les ressources naturelles n’ont jamais été à la mesure des besoins. Selon l’expression consacrée, il "fallait faire avec…" Il fallait tirer parti de toutes ces maigres ressources, sans aucune exception, par une économie de subsistance très stricte. De là, de jugement qui a paru longtemps justifié : cuisine niçoise, cuisine du pauvre. Tout l’art de nos aïeux fut, à partir de ces produits simples et relativement peu nombreux, de préparer une table aux mets savoureux et variés. L’effort continu d’imagination de nombreuses générations fut nécessaire.
On pourra remplacer avantageusement les canapés de nos apéritifs par des «coumpanage» ensoleillés. Littéralement, un coumpanage est ce qu'on mange avec du pain. Il existe quantité de préparations anciennes ou modernes, toutes délicieuses et originales, pour remplacer les petites saucisses en boîte ou les arachides grillées. Et puis, le coumpanage, c'est aussi l'ami... le compagnon... avec qui vous partagerez le moment sacré de l'apéritif. Toutes les préparations qui suivent seront consommées sur des tranches de pain grillées. L'idéal étant un pain de campagne cuit au feu de bois, rassis de trois jours afin de le couper facilement en tranches d'un doigt d'épaisseur avant de le passer 3 minutes au gril du four. Mais vous pouvez toujours découper une baguette...
Les hors-d'oeuvre, «lu antipast», sont simples. Ils existent pour émoustiller nos papilles. Produits du terroir cuisinés simplement, ils permettent de deviner la suite du repas. Les salades suivent le fil des saisons et, aux jours les plus chauds, composent à elles seules un repas complet. Dès le printemps, le repas s'ouvre le plus souvent sur une salade de tomate sans aucun légume bouilli, péché mortel. Plus tard dans la saison suivront les haricots verts à l'ail auxquels succéderont avec le froid haricots en grains et pois chiches à l'oignon. A côté des salades, le rituel du début des repas en toute période de l'année se retrouve autour de la pissaladière, des beignets ou de la charcuterie, «la carsalada». L'hiver nous permettra d'ouvrir les bocaux ensoleillés des légumes confits au vinaigre... Enfin, le temps se suspend pour nous laisser déguster sur un coin de comptoir ou au Cours Saleya une socca qui porte à elle seule tous les accents du Comté.
Le niçois est friand de soupes. Soupe de légumes, soupa de liéume, de poissons,de pei, aux haricots, de faiòu, aux pâtes, lou frigaman. Mais il préfère avant tout la soupe au pistou, es fouòrt per la soupa au pìstou. Il consomme volontiers du pot-au-feu, de buhit; mais attention, le soir, le pot-au-feu est indigeste, de vèspre, lou buhit es lourd.
On démarre souvent une bonne soupe en mettant à rissoler de l'oignon, faire revenì de ceba, avant de laisser mijoter le bouillon, mitounà lou brodou a pichin fuec. Auparavant, il aura fallu trier, espelucà, écosser, desgrueià, éplucher,desgruhì, les légumes.
La basse-cour, lou courtil a longtemps fourni l'essentiel des produits d'origine animale. La poule, la galina est surtout une poule pondeuse. Trop vieille elle sera consommée bouillie. Un seul coq, lou gal, pour obtenir les oeufs fécondés, lu galat, et obtenir des poussins, de pouloun. Mais on utilise de préférence les oeufs non fécondés, lu òu clar. On parle pour l'intérieur de l'oeuf du blanc, lou blanc, ou plus facilement de la glaire, la clara, et du jaune, lou rous. On mange les oeufs au plat, lu òu au plat, les oeufs durs, lu òu dur, ou les oeufs pochés, lu òu en camiha. Mais on aime surtout cuisiner l'omelette, la melèta, ou une omelette à la blette, una trùcha.
Un livre complet ne suffirait pas pour parler des pâtes, li pasta, dans le pays niçois. Les habitants de la côte sont friands de pâtes fraîches, li pasta fresca à l'òu, et le pays gavot a presque autant de recettes que de villages. On trouve des pâtes en morceaux détachés qu'on jette dans le bouillon, lou frigamoun, la sorte de pâte à beignets cuite à l'eau de la Tinée, l'anderouòl, ou lu crouis de Guillaumes. Remplie de la farce, l'emplun, la pâte donne alors toutes sortes de raviolis, li raiòla, qui plus petits deviendront li raiouleta ou li raiouloun. Les pâtes sont pratiquement toujours mises à bouillir, bulhì, avec un filet d'huile, una raiàda d'oli, dans l'eau de cuisson. Tous les gourmets, lu mourrelec, sont amateurs de pâtes. La pâte, c'est un péché de gourmandise, la pasta, es un pecat de goula.
La cuisine de Nice naît dans les potagers. Les marchés aux légumes flamboient et fleurent encore la terre des collines. Les couleurs sont vives et les légumes petits. Sur les marchés, sont mélangés le rouge des tomates, le vert des courgettes, le jaune des poivrons, le jaune-orangé des fleurs de courgettes, le noir des olives, le violet des aubergines, le vert foncé strié de violet des artichauts, et le vert tendre des brocolis. Les ingrédients pauvres sont beaux et les légumes toujours soulignés par l'or de l'huile d'olive. Mais la place centrale de la farandole reste celle de l'omniprésente blette. Vert foncé ou blonde, à grosse carde ou à carde étroite, elle participe de tous les chefs-d'oeuvre des farces.
L'élément central du repas du dimanche a longtemps été le lapin que chaque famille élevait, et la basse-cour a longtemps fourni l'essentiel des produits d'origine animale. Traditionnellement, on élevait également un porc pour la charcuterie des jours de fêtes ou des travaux des champs. Le mouton, présent dans toute la montagne, reste la viande reine des fêtes pascales. Lorsqu'on invite à venir «partager la côtelette», on entend bien sûr celle de mouton. La consommation de veau reste très inspirée de la tradition italienne. On n'utilisera du boeuf que les morceaux de troisième catégorie ou les abats longtemps mijotés. Les chasseurs améliorent l'ordinaire avec les petits oiseaux, le sanglier ou le lièvre.
Le nom administratif, Alpes-Maritimes, reflète la double identité de notre cuisine : de montagne et de mer. Et qui dit mer Méditerranée dit poisson. Les pêcheurs professionnels de Théoule, Cagnes, Nice, Antibes, Beaulieu ou Menton, ramènent dans leurs filets les rougets, saint-pierre, daurades, poulpes, loups, sardines ou anchois. Les anchois sont préparés au sel rouge, additionné de brique, les sardines sont farcies à la blette, les poulpes cuisinés en daube, les rougets meurent dans l'huile, et les daurades, loups ou saint-pierre se magnifient au four entourés de tomates et citrons. La montagne aussi aime le poisson. Poisson conservé au sel, comme l'anchois ou la morue, ou poisson séché comme le stockfisch, mais aussi poisson frais des lacs ou torrents. La truite vient améliorer l'ordinaire.
Pas de grande tradition de fromage dans le Comté, notre région était trop chaude pour le transport du lait avant l'apparition des transports frigorifiques. Cependant, on trouve d'excellentes tommes de vache à Sospel, Isola ou Roure. Il faut prendre le temps d'aller les acheter sur place pour choisir les meilleures, celles qui sont arrivées à bonne maturité et sont bien parfumées. On trouve également d'excellents fromages de chèvre frais ou secs dans toutes les hautes vallées. Enfin, la brousse, que l'on peut encore acheter sur le cours Saleya ou chez les bons fromagers est un véritable régal comme fromage...ou comme dessert. Il s'agit d'un fromage frais de brebis vendu en faisselle. Egoutté, il se consomme au sel, au poivre, ou encore au sucre avec de l'eau de fleur d'oranger. La brousse ne se confond pas avec lou brous. Fromage essentiellement familial, régal des chasseurs, il ne se déguste qu'en groupe afin de ne pas incommoder les voisins.
Voici venu le temps du dessert, le moment des retrouvailles pour un bonheur gourmand. En saison, un plateau de fruits frais constitue le dessert le plus prisé. A la fin de l'été, la figue est reine. Peu de gâteaux, la pâtisserie niçoise préfère les tartes, fougasses, pompes à l'huile, pains parfumés et surtout la tourte de blettes. Les odeurs sont d'anis et de fleur d'oranger.
Pour les fêtes, des ganses et des montagnes de beignets odorants. Peu de beurre, pas de crème, le lait pour cuire le riz avec les pignons et les raisins secs. A Noël, les fruits confits et le nougat noir, de miel, d'amandes et de noix trônent au milieu des treize desserts. A la montagne, des tartes de miel et de noix.