C’était dans le bus. Deux petits vieux assis parlaient à un petit vieux debout, en niçois. Et le thème de la conversation était : « Ah ! Des Niçois, y’en a plus ! Plus personne parle niçois ! etc. ». Si j’avais eu un euro chaque fois que j’ai entendu ça, je m’achèterais la Léopolda !
Alors une idée s’imposa : dresser un bilan des vingt-cinq dernières années en matière de culture niçoise, ou tout au moins une esquisse. Et plusieurs évidences en ressortirent.
Jamais, la recherche sur l’histoire de Nice et de son comté n’a été aussi productive. Depuis 1985 et le premier colloque organisé à la Faculté de Droit, il ne se passe pas deux ans sans qu’il y en ait un autre, organisé par différentes instances (Faculté de Droit, Faculté des Lettres, etc.), donnant lieu à chaque fois à une publication. Les masters ou doctorats se multiplient, ainsi qu’on le voit par les comptes-rendus. La pagination de Nice historique a augmenté, tandis que la qualité de cette revue, notamment en termes iconographiques et en signatures, a sans cesse progressé. Le Sourgentin s’est professionnalisé, tous les sujets sont abordés. Les ouvrages de fond se sont multipliés, chez de nombreux éditeurs. Souvenons-nous, dans les années 1970 encore, le désintérêt de l’Université, la tristesse des revues, la rareté des publications !
La question est plus complexe en matière linguistique. La présence de la langue au bac, le dévouement des profs, le maintien de la statistique des inscrits cachent de réelles difficultés dans l’enseignement, malgré la bonne volonté des responsables de ce secteur auprès du recteur. Pour autant, rarement, depuis la renaissance littéraire du XIXe siècle, la création en langue niçoise a été aussi foisonnante. La troupe du théâtre niçois de Francis-Gag a créé dix nouvelles pièces ; le Ròdou nissart poursuit ce même travail. Le monde de la musique a vu ses acteurs se multiplier, du Còrou de Berra aux Rauba capéu, en passant par le Lanciour, Lo Mago d’en Castéu et les Nux Vomica. Les groupes de danse traditionnelle sont toujours actifs, et tous voient sans cesse venir à eux des jeunes. La langue est présente sur la Toile et encore dans la grande presse locale, parlée, écrite ou télévisée.
N’oublions une nouveauté : la grande implication des collectivités territoriales et au premier chef de la ville de Nice. L’existence d’une délégation politique à un élu, le bilinguisme dans les rues du Vieux-Nice, certaines annonces du tram, le soutien à la langue par la publication de méthodes et de supports d’enseignement, la politique de rénovation du patrimoine et des fêtes traditionnelles, la multiplication des publications et des expositions, le travail en réseau avec les associations, tout cela compose un ensemble dont on mesure au quotidien l’intensité, surtout si l’on considère qu’il s’agit d’un effort de l’ensemble de la collectivité s’adressant à une minorité.
En somme, la soulòrma entendue dans le bus n’a pas de raison d’être, à une réserve près. Mes trois petits vieux avaient probablement en tête le temps où le niçois était une langue vernaculaire et populaire. Aujourd’hui, il se transforme en langue de choix et de culture. Le saut est important et peut désarçonner ; on peut même le regretter. Mais cela admis, il devient excessif de considérer la culture niçoise dans son ensemble, et notamment la langue, comme mourant avec ses plus vieux porteurs. Bien sûr, on peut toujours mieux, on peut toujours plus, on peut toujours autrement. Personne, d’ailleurs, n’est empêché de faire plus, mieux et autrement, dans les limites du don de soi, de la clarté des intentions et de l’efficacité des actions. Beaucoup s’y emploient, dans un monde associatif renouvelé et dynamique, par des initiatives nouvelles et de ce temps.
La prochaine fois, dans le bus, je leur dirai çà, aux petits vieux. E en nissart, de mai !