Au travers de cette nouvelle rubrique, je voudrais vous faire connaître quelques-uns de ces monuments méconnus et modestes qui foisonnent sur les routes et les sentiers du Comté de Nice... Ceux à côté desquels on passe sans les voir, ceux qui ne sont jamais signalés par les guides touristiques, ceux qui sont tellement intégrés au paysage qu'on en oublie jusqu'à l'existence, ceux qui commémorent pourtant un moment important de notre histoire, bien oubliée, elle aussi. Ces petits monuments, forcément sans prétention architecturale ou artistique, sont de véritables jalons de notre passé, et témoignent d'événements lointains mais toujours d'importance capitale à leur époque.
Cap au nord donc, dès aujourd'hui, et direction le beau village de
L'Escarène, dans la vallée du
Paillon, célèbre par la qualité de ses trules et par la splendeur d'un ensemble architectural baroque quasi-unique dans le comté et malheureusement bien dégradé.
Mais ce n'est pas de l'église
Saint Pierre-aux-Liens, flanquée de ses deux chapelles de pénitents dont je voulais vous entretenir, même si son impérative restauration nécessiterait une belle campagne médiatique...
Peu de temps après avoir franchi le col de
Nice, on entre dans le village par la rue du Château qui conduit directement au majestueux pont franchissant l'un des bras du
Paillon, surplombé par le non moins superbe viaduc ferroviaire de la ligne
Nice-Coni, toujours en activité. Sur les rives du fleuve, un vaste parking permet de stationner en toute quiétude. De là, un escalier va nous ramener dans la rue du Château, où, quelques mètres après le virage, du côté droit en direction de
Nice, une petite fontaine se dresse dans une niche en faux cul de four.
Rien de bien exceptionnel me direz-vous : cette fontaine, en pierres de taille, ressemble à toutes ses sœurs, édifiée au XIXe siècle avant que le besoin de confort n'imposât "
l'eau à tous les étages" dans chaque maison.
L'Escarène en compte d'ailleurs plusieurs, notamment dans la belle rue Saint-Sébastien, toutes construites à la même époque, dans les années 1850.
Celle de la rue du Château présente une particularité, unique à ma connaissance dans le
Comté de Nice : l'inscription dont ses constructeurs l'ont dotée commémore un événement que l'actualité en terre d'Islam a récemment amené les
média à rappeler : le
Printemps des Peuples (européens s'entend) qui a permis à la démocratie de commencer à s'installer durablement à partir de 1848.
Cela n'a certes pas été sans mal, sauf que dans les
États de Savoie, auxquels
Nice appartenait, le souverain d'alors,
Charles-Albert, plus inspiré peut-être, plus réaliste sûrement, sut, dès 1837, appréhender les aspirations de la bourgeoisie piémontaise et promulga un Code Civil puis un Code Pénal. Fin 1847, l'annonce des troubles qui commençaient à secouer l'Europe des monarchies parvint à
Turin, suivie, en janvier, par celle de l'octroi d'une Constitution par le très autocratique Ferdinand II des Deux-Siciles, amena le roi à accepter le principe d'une loi fondamentale pour ses États.
Le conseil chargé de la rédiger fit diligence, profitant de la bonne volonté royale, et le
Statuto (un terme propre à la Maison de Savoie, faisant référence au Statuto d'
Amédée VIII au début du XVe siècle), annoncé officiellement le 8 février 1848, fut promulgué le 4 mars suivant.
Limitant l'absolutisme royal en vigueur jusqu'alors, instituant le bi-camérisme, avec une chambre des députés élue au suffrage censitaire, exclusivement par les hommes, le
Statuto constituait un progrès de taille, malgré ses limites, et marqua les esprits du temps de manière indélébile. A
Nice, il fut accueilli par une explosion de joie populaire et il est vraisemblable que ce fut aussi le cas dans les villages de l'arrière-pays.
A
L'Escarène, on immortalisa l'événement trois ans plus tard, en datant la nouvelle fontaine de la rue du Château par rapport à la promulgation du
Statuto, à la manière des révolutionnaires français de 1793 ou du régime mussolinien en 1922.
Au cœur d'une des villes-étapes de la
Route Royale qui conduisait de
Turin à
Nice, la petite fontaine de
L'Escarène a, pendant longtemps, rappelé aux habitants du village et aux voyageurs l'importance du
Statuto qui, notons-le, resta en vigueur presque un siècle, jusqu'en juin 1946, quand fut proclamée la République italienne et qu'une constitution moderne lui succéda.
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