« La télévision fabrique de l’oubli » écrivait Jean-Luc Godard. Cyrille et Gilles PEREZ, producteurs, France 3, nous apportent un cinglant démenti.
Car votre film, « Les Pieds Noirs : histoires d’une blessure », a le double mérite de rafraîchir notre mémoire collective et d’évoquer ce sujet avec une approche inhabituelle.
Les pieds-noirs des Alpes-Maritimes, fort nombreux, y seront sensibles.L’image d’Épinal du riche colon exploiteur laisse la place à une vision très contrastée qui, par petites touches, dessine le visage de femmes, d’hommes et d’enfants confrontés à une destinée qui les dépasse et qui leur échappe.
Ce n’est pas celle qu’ils avaient imaginée, eux qui, artisans, commerçants, agriculteurs, ouvriers, pensaient que leur labeur suffirait à garantir à leurs enfants un avenir heureux sur une terre qu’ils chérissaient depuis des générations.
La précipitation des événements a pris de court ces familles modestes ou de classe moyenne qui formaient l’immense majorité de la communauté pied-noire.
C’est aussi ce que montrent les 3 épisodes du film de Cyrille et Gilles PEREZ, et là est aussi son intérêt, celui de faire œuvre de justice, qui n’est qu’une simple déclinaison de la vérité.
Ils livrent aussi aux nouvelles générations les clefs pédagogiques de la compréhension d’une communauté dont la grande épopée, commencée en 1830, se termina par le drame de l’exil ou dans un bain de sang.
Les riches colons, bien sûr, avaient depuis longtemps anticipé ce qui se préparait, et les meurtrissures furent peut-être un peu moins vives .
Oui, les pieds-noirs formaient, dans leur très grande majorité, une communauté populaire.
Avec son langage si coloré et imagé, elle était dure au labeur, ne rechignait pas à la tâche, fière de reprendre le flambeau transmis par ses aïeux et persuadée qu’elle construisait jour après jour l’Algérie de demain.
Avec un esprit de solidarité comme nulle par ailleurs, forgée par une complicité puisée aux sources du passé, avec ses coups de gueule et ses réconciliations souvent exubérantes, elle rayonnait tel le soleil, élément constitutif presque génétiquement de sa culture.
Elle était ouverte aux autres, Italiens, Corses, Alsaciens, Maltais, Espagnols, parfois Allemands, dont les aléas de l’histoire collective ou individuelle avaient amené les familles à faire le même choix, volontaire ou contraint, de l’exil sur cette terre ingrate, mais magnifique et prometteuse.
L’Algérie était une terre de paix et de tolérance, où se côtoyaient chrétiens, juifs, musulmans, où les jeunes pieds-noirs et arabes usaient leur culotte sur les mêmes bancs des écoles communales, jouaient ensemble, sortaient ensemble, profitaient ensemble de cette vie simple, insouciante et dorée que leur offraient la beauté du pays, la plage ou les odeurs de l’Orient.
Qui dès lors aurait pu prévoir que cette Toussaint rouge du 1er novembre 1954 marquerait le début d’une période sombre au cours de laquelle cette unité chaleureuse devait disparaître au profit du vacarme des armes, des meurtres, des attentats et des traques sans merci ?
« Les dents ont beau rire, le cœur sait la blessure qu'il porte », dit un proverbe berbère.
Cette blessure, non seulement est indélébile pour ceux qui l’ont vécue, mais je crois pouvoir dire que pour beaucoup, elle est héréditaire, précisément parce qu’elle est fondée sur un sentiment de trahison, perçue sans doute comme le pire des affronts. Trahison de leurs amis, passés dans le camp des indépendantistes, trahison d’une administration trop lente à gérer l’afflux massif des rapatriés, trahison des métropolitains qui se sont réfugiés derrière le mépris, l’ironie et l’invective.
Ce sentiment là n’est-il pas en définitive un trait de caractère fondamentalement méditerranéen ?
C’est cette grande saga que nous conte ce film, en 3 épisodes ; deux ont déjà été diffusés sur France 3 Méditerranée, le troisième le sera le 27 janvier prochain. Et nous sommes heureux d’avoir contribué à l’organisation de cette grande première.
A travers leur thématique : les années romantiques, les années dramatiques, les années mélancoliques, c’est le fil de plus d’un siècle et demi d’histoire qui se déroule sous les yeux des téléspectateurs.
Ramené à l’échelle d’une simple existence, il se rapproche de ce que chacun d’entre nous pouvons vivre : l’espoir, les épreuves, les souvenirs.
Voilà pourquoi ce film nous touche aussi au plus profond de notre cœur.
Mais je crois aussi que l’autre mérite de Cyrille et Gilles PEREZ est d’avoir abordé le sujet avec originalité, en ayant privilégié les témoignages et archives familiales sur l’académisme et les archives.
L’histoire n’est jamais simple et monolithique et je crois que c’est ce qu’ils ont voulu souligner à travers ce regard un peu kaléidoscopique des 62 intervenants qui la montre dans sa complexité et ses multiples facettes.
62 : quel chiffre symbolique!
Que reste-t-il aujourd’hui de cette période si lointaine et si proche ?
La balance est égale entre nostalgie et amertume, la cicatrice reste vive, et j’en connais autour de moi, comme vous sans doute, qui ne remettront jamais les pieds en Algérie !
D’autres ont franchi un cap psychologique en allant se recueillir, les larmes aux yeux, sur la tombe de leurs parents, de leurs ancêtres, à Alger, à Oran, à Mostaganem, à Tlemcen, en découvrant des cimetières dans un état dégradé, et vous savez que le Président de la République est particulièrement sensible à ce problème.
D’autres enfin, souvent les mêmes, soutiennent les revendications de nos amis harkis en matière d’indemnisation et je suis heureux que le Gouvernement et le Parlement se soient penchés avec attention sur cette légitime requête.
« L'histoire est la science du malheur des hommes » écrivait Raymond Queneau.
« Les Pieds Noirs : histoires d’une blessure», nous en présente toute la dimension.
Mais ce travail de mémoire réussi serait incomplet, s’il ne faisait pas bouger notre ligne d’horizon : celle de la réconciliation avec notre histoire, fût-elle douloureuse, et surtout avec nous-mêmes.
C’est ainsi qu’un peuple et une Nation se montrent capables d’un nouvel élan !
« Les années mélancoliques », débute sur la chasse à l’homme du 5 juillet 1962, où, dans l’euphorie des fêtes de l’Indépendance, quelques uns règlent leur compte avec les Européens d’Oran. Des événements qui finissent de convaincre les familles pieds noirs de fuir à bord de bateaux trop rares et bondés. En France, rien n’est prévu et les Français d’Algérie se heurtent à l’hostilité de la population française et à la suspicion de l’État. Pour beaucoup, les conditions d’hébergement des premiers mois vont être terribles. L’éparpillement des familles en Métropole, la mauvaise image des Pieds Noirs et le racisme dont ils sont victimes provoquent ensuite dépressions et silence. Convaincus de ne pas revenir, les Pieds Noirs chercheront alors à s’intégrer à tout prix et laisseront, pendant des années, les rumeurs, les idées fausses et les moqueries se multiplier.
Éditions Jacques Gandini : Livres et documents sur l'Algérie de la période française (1830-1962) http://www.editions-gandini.com/
Sites et Associations pieds noirs http://www.denisdar.com/sites.php3
Le livre d'or des pieds noirs http://www.piedsnoirs.org/
Le site des pieds-noirs, des harkis et de leurs amis http://perso.orange.fr/jeunepiednoir/jpn.wst/
Union Syndicale de Défense des Intérêts des Français Repliés d’Algérie http://www.pied-noir.com/
Histoire des Pieds-Noirs http://www.pieds-noirs.org/histoire/histoire.htm