Jacques Testart / La science est-elle soluble dans la démocratie ? Au point où nous ont menés l’économie libérale et sa fille industrieuse, la technoscience, il existe trois voies possibles pour la suite du monde. La première, qui semble aujourd’hui la plus prisée, consiste à fermer les yeux en priant pour la Sainte Croissance, à consommer et à polluer plus que jamais et, selon toute vraisemblance, à finir dans le mur. À l’inverse, on pourrait tout arrêter, en reconnaissant dans un certain état du monde, passé ou actuel, un idéal auquel s’accrocher. Pourtant, si l’on convient que la Terre ne fut pas donnée à l’homme comme un paradis, et qu’il a été obligé de ramer longtemps pour la rendre vivable, rien ne nous permet de croire que le meilleur est déjà disponible et qu’il ne suffirait plus que de se débarrasser du pire. On doit pouvoir continuer à inventer des artifices qui ne contribueraient pas à une croissance suicidaire ou à des gadgets aliénants. Tout le problème est de décider à quoi sert la recherche et à qui sert l’innovation. La troisième voie consiste donc à regarder en face les dégâts, y compris prévoir ceux à venir, à freiner la machine là où elle apporte désormais plus de nuisances que de bienfaits (il en est ainsi dans les pays déjà « développés »), et accepter la règle des vases communicants dans une perspective de mieux universel. Cette voie a peu à voir avec le « développement durable » mais plutôt avec « l’épanouissement équilibré et solidaire », expression qui veut marquer que le bonheur n’est pas la consommation et que les besoins des terriens sont hétérogènes. Une telle voie semble être celle de la sagesse et même de la survie, mais elle n’est possible que si les pouvoirs politiques cessent de mépriser par certaines de leurs décisions les peuples et leurs aspirations. On ne peut pas à la fois réduire la démocratie à une mascarade et s’indigner d’actes de désobéissance, situation bien illustrée par les PGM.
Allain Glykos / Le désir de science des artistes Après l’anathème jeté par Platon contre les artistes « fabricants » de simulacres, et son injonction "Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre" gravée à l’entrée de l’Académie, l’histoire de la peinture se confond à plusieurs reprises (Renaissance, XXe siècle) avec la volonté des artistes d’être reconnus par la communauté scientifique. L’usage de la géométrie révèle tout à la fois un désir de science et un désir de reconnaissance sociale.
Jean-Marc Lévy-Leblond / Faut-il faire sa fête à la science ? N’est-il pas quelque peu paradoxal de célébrer chaque année une « Fête de la science » en un temps où elle est volontiers accusée de provoquer bien des maux dont souffre l’humanité ? Que traduit ce désir des institutions scientifiques de donner un caractère festif et ludique à leur activité ? Cette perspective séduit-elle vraiment le public ? Et pourquoi les sciences sociales et humaines sont-elles si peu présentes dans cette fête ? Si des réponses pour le moins critiques doivent être données à ces interrogations, faut-il pour autant abandonner l’idée qu’il peut y avoir une source de joie dans la connaissance scientifique, et d’abord pour ceux qui produisent ces connaissances ? Mais comment les scientifiques peuvent-ils partager leur plaisir de la recherche avec les profanes ? Ne faudrait-il pas qu’ils acceptent aussi d’en assumer les déplaisirs ? Et si les équipements et les financements de la science moderne sont de plus en plus lourds, y a-t-il place pour une “science légère” - au sens où l’on parle de “musique légère” ?