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C'est dans le cadre de conférences sur les études pluridisciplinaires de certains sites archéologiques que NRV a rencontré Jérôme Magail. L'anthropologie culturelle, les enquêtes ethnologiques recueillies auprès des populations actuelles, l'étude des itinéraires saisonniers et la domestication, les savoir-faire en matière d'adaptation à un environnement spécifique, rapprochent pour le chercheur, des régions aussi éloignées que le mont Bégo, dans le haut pays niçois, et la nécropole Gol Mod en Mongolie!.
Jérôme Magail vous êtes Docteur en ethnologie, à NRV nous vous connaissons comme secrétaire général de l'IREP COME et, à ce titre, intéressé à la culture et au patrimoine du Comté de Nice. Comment se fait-il que vous soyez également Directeur adjoint de la Mission archéologique française en Mongolie ?

Cinq mois après la soutenance de ma thèse à Nice, au printemps 2002, Jean-Paul Desroches, Directeur de la Mission archéologique française en Mongolie m'a proposé de partir avec son équipe étudier une nécropole Xiongnu de plus de 400 tombes, située à 450 km de la capitale Oulan-Bator. Comment refuser une telle invitation à la découverte des vestiges de l'une des premières grandes civilisations des steppes ?
En s'engageant pour une saison sur un terrain éloigné tel que celui-ci, on pense à une expérience professionnelle ponctuelle, puis ce passionnant programme de recherche vous pousse à intégrer l'équipe et à revenir chaque année.

Que sait-on de cette civilisation ?

Dès le IIe siècle avant notre ère, les Xiongnu étaient une puissante confédération de tribus nomades, ennemie de l'Empire chinois Han qui construisait les premiers tronçons de la grande muraille pour endiguer ces invasions. La superficie que les Xiongnu contrôlaient dépassait le territoire actuel de la Mongolie. C'était une société qui pratiquait un élevage extensif, dirigée par des souverains élus parmi les meilleurs guerriers.
Les premiers à étudier cette civilisation furent les Russes et les Mongols. Les autres équipes n'ont accès aux sites archéologiques de Mongolie que depuis une dizaine d'années. C'est donc une grande chance pour nous de pouvoir mener ces recherches sur le terrain. Les vestiges archéologiques sont d'autant plus importants que les Xiongnu ne possédaient pas d'écriture et que les seules sources écrites sont les textes chinois.

Que faites vous précisément sur votre site archéologique ?

L'équipe de la Mission conduit les fouilles de grandes architectures funéraires qui appartenaient à l'aristocratie du début de notre ère. Ces sépultures, dont la construction nécessitait environ 800 ouvriers pendant un mois, sont les principaux vestiges qui subsistent de cette civilisation de nomades, guerriers et pasteurs. Cet été, nous serons par exemple contraints de creuser à plus de 15 m de profondeur pour atteindre la chambre funéraire d'un chef Xiongnu. Inhumé dans une pièce d'environ 20 m2, faite de rondins de mélèzes, le défunt était placé dans un cercueil décoré de motifs de fleurs en feuille d'or.

Quelle est la nature de vos relations avec les scientifiques mongols ?

Notre équipe est composée de chercheurs occidentaux et mongols. Nous travaillons en étroite collaboration sur le terrain et dans nos recherches documentaires. Trois français apprennent le mongol à l'Institut National de l'Apprentissage des Langues et Civilisations Orientales et le chef de mission mongol apprend le français grâce à des séjours à Paris. Ce sont des liens très forts, fondés sur des enquêtes archéologiques toujours menées ensemble, à partir desquelles se construit un savoir commun. Les huit étudiants mongols qui viennent chaque année sur la fouille sont en fait les générations futures de chercheurs mongols qui écriront l'histoire des steppes de leur pays.

Les habitants actuels de la steppe sont-ils intéressés par ces fouilles ?

A ma grande surprise, les bergers viennent voir à cheval l'avancée des fouilles. Leurs chevaux et leurs moutons broutent d'ailleurs entre les tombes. Les constructeurs de ces grandes tombes, qu'ils considèrent souvent comme leurs ancêtres, les intriguent. Un berger, voisin de notre camp, m'a demandé quelle était la supériorité de ces hommes par rapport à leurs ennemis. Je me souviens alors de ses yeux brillants au moment où j'évoquais les hordes de cavaliers Xiongnu déferlant sur les armées Han. N'oublions pas que les Mongols actuels pratiquent encore les courses de chevaux, les tournois de lutte et les concours de tir à l'arc. Lors de leur grande fête nationale, le Naadam, les populations se rassemblent dans les villes et viennent voir se mesurer les plus aguerris. Plus de 1000 ans avant Gengis Khan, les activités belliqueuses étaient déjà au centre de l'organisation des sociétés Xiongnu ou chaque homme devait être un guerrier.

Y a t il d'autres équipes de chercheurs ?

Il y a des équipes allemande, américaine, coréenne et turque. La Mission archéologique française, installée depuis 1993 est l'une des premières à s'être installée. Ses chantiers de fouilles sont parmi les plus grands de Mongolie.

Y a t il une sorte de concurrence entre les équipes étrangères ?

Il n'y a pas de concurrence car nous travaillons rarement sur des sites de la même période et la Mongolie est un vaste territoire vierge où beaucoup de vestiges sont encore à découvrir. Toutes les recherches sont forcément complémentaires et nous avons d'ailleurs des projets d'expositions avec des équipes étrangères et mongoles.

Qu'espérez vous trouver ou comprendre ?

La recherche des événements survenus sur cette nécropole il y a 2000 ans est de plus en plus passionnante. On découvre que les 400 sépultures dispersées sur 400 hectares sont organisées en quartiers, centrés autour de grandes sépultures ayant une terrasse rectangulaire de 35 m de côté. Nous souhaitons comprendre le sens politique de la construction de telles architectures monumentales desservies systématiquement par une allée funéraire de 30 m de long. Rappelons que c'est une civilisation nomade, sans véritable capitale. Les textes chinois mentionnent que le souverain Xiongnu reçoit sous sa tente princière. Certains évoquent l'influence de l'architecture chinoise empreinte de l'apparat funéraire des dynasties Han. Il est vrai qu'au premier siècle, l'empire voisin abreuve les Xiongnu de soieries et d'objets métalliques précieux pour acheter la paix. On retrouve d'ailleurs ces cadeaux impériaux dans les chambres funéraires. On pense cependant qu'une aussi grande nécropole était un lieu fédérateur pour l'ensemble des tribus Xiongnu qui se rassemblaient lors des obsèques des souverains. En ces lieux, on préparait peut-être également les razzias et les attaques contre les Han mais aussi contre les autres fédérations de tribus de l'est, les Xianbei.

Faites vous appel aux nouvelles technologies ?

Les fouilles sont de plus en plus minutieuses et les moindres vestiges de tissus, métaux et ossements sont recueillis pour être analysés à l'aide des dernières technologies. Le laboratoire EDF - Valectra nous a beaucoup aidé dans l'analyse des objets métalliques. Les laboratoires du Centre de Recherches et de Restaurations des Musées de France nous offrent également toutes leurs compétences.

Pour être fidèle aux stéréotypes hollywoodiens, êtes vous plutôt Indiana Jones ou Hercule Poirot ?

Il faudrait être un peu des deux en fonction des circonstances. Indiana Jones serait l'archéologue parti prospecter la steppe à la recherche de vestiges, avec un véhicule qui tombe parfois en panne loin de tout, avec des rencontres arrosées de vodka sous les yourtes, Il serait également celui qui irait négocier les moutons chez les clans voisins pour approvisionner le camp. Mais l'archéologue et l'anthropologue sont aussi des enquêteurs, bien loin de l'image des chercheurs de trésor. C'est à ce titre que l'image des petites cellules grises affûtées d'Hercule Poirot serait assez proche de celui qui examine les plus petits indices susceptibles de comprendre la chronologie des évènements historiques. Les Xiongnu sont difficiles à faire parler mais chaque guerrier nous a systématiquement laissé son carquois, son arc et son cheval sacrifié à ses côtés dans sa tombe.

Vous avez travaillé sur le site de la Vallée des Merveilles où vous avez mis à jour deux cadrans solaires. La mesure du temps était-elle aussi une préoccupation chez les nomades d'Asie Centrale ?

Diviser le temps avec plus ou moins de précision est une préoccupation humaine car les sociétés ont besoin d'ordonner ce qui les entoure afin d'apprivoiser l'inconnu et l'imprévu. L'homme commence par ordonner l'espace, parfois en défricHant et en clôturant. Mais ce ne sont pas les activités les plus visibles qui sont les plus efficaces pour partitionner l'espace. Grâce aux noms, vous fragmentez une région en lieux-dits pour des générations. En ce qui concerne le temps, indissociable de l'espace, il est composé de périodes associées par la pensée humaine à chacun des lieux fréquentés. Ainsi, que ce soit une famille pastorale dite "nomade" de Mongolie ou des bergers de la Vallée des Merveilles, ces personnes mesurent le temps en fonction de leurs déplacements saisonniers. Elles savent que de la fin du mois de juin au début du mois de septembre elles se trouveront à tel endroit et qu'il faudra qu'elles y accomplissent toute une série d'activités. En Asie Centrale comme chez les bergers européens, l'observation du mouvement apparent du soleil et des étoiles était une pratique courante pour se repérer. D'après mes collègues mongols le principe du gnomon est encore utilisé chez eux. En effet, l'observation de l'ombre d'un bâton planté en terre permet de déceler les grands moments de la journée et de l'année. L'ombre la plus courte de la journée indique à la fois l'heure de midi et la direction du nord. Quant aux ombres les plus longues de l'année, elles apparaissent le jour du solstice d'hiver.

Voyez vous des similitudes de comportements entre les nomades mongols et les hommes qui ont traversé la Vallée des Merveilles ?

Il n'y a aucune similitude culturelle mais il y a des similitudes d'adaptation au milieu. Ce sont deux sites qui ne sont fréquentés qu'en été à cause des rigueurs hivernales. Le creusement des tombes en Mongolie ne pouvait s'effectuer qu'en juin et les bergers de la Vallée des Merveilles ne pouvaient monter en altitude sans risque qu'en été. Il est d'ailleurs très intéressant de comparer les contraintes climatiques entre deux sites aussi éloignés car elles engendrent des adaptations et des savoir-faire qui se transmettent de génération en génération.

Aurons nous de vos nouvelles ?

Je rejoindrai le 10 juin mes collègues à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, où je préparerai la Mission pendant 10 jours avec eux. A ce moment là, je serai joignable et je vous enverrai des messages électroniques de l'un des innombrables internet-cafés d'Oulan-Bator. Les Mongols aussi ont attrapé le virus du surf planétaire et il est plus facile de trouver un ordinateur connecté et accessible dans leur capitale qu'à Paris. Par contre, lorsque je partirai pour 14 heures de route, enfin je veux dire 2 heures de route et 12 heures de piste chevauchable, vous n'aurez plus de mes nouvelles. La nécropole Xiongnu de Gol Mod est bien isolée et seul le téléphone satellite pourrait éventuellement établir une communication.

À quand votre retour ?

Je reviendrai du site archéologique vers le 20 août et je décollerai d'Oulan-Bator le 25 août pour Paris. Peut-être aurai-je 2,5 cm de cheveux et de barbe en plus mais certainement aussi d'innombrables souvenirs en tête.

Avez vous d’autres projets d'études dans notre région ?

Dès septembre je continuerai mon étude en anthropologie cognitive sur la dégustation de l'huile d'olive. Projet passionnant qui consiste à comprendre les mécanismes qui permettent au dégustateur de mettre des mots sur les différents goûts de l'huile. Tout cela peut paraître très simple, mais en fait la distinction des saveurs nécessite un apprentissage complexe avec une personne déjà initiée qui transmet son savoir par des mots et des définitions des goûts.
Sans l'élaboration de descripteurs précis des saveurs, le dégustateur ne pourrait dialoguer avec les autres et aussi avec lui-même, échanges essentiels à l'épanouissement de la perception gustative et olfactive.

Monsieur Jérôme Magail, nous vous remercions et à très bientôt donc, sur nos écrans.

 

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